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C'est un plongeon dans les années 80, au sein d'un microcosme de société marginale du 19ème arrondissement de la rue de Flandre, c'est un kiosque incarné en « théâtre de marionnettes posé sur le trottoir parisien» dans lequel Jean Rouaud a évolué pendant sept années en supplétif de P. l'anarchiste (avant d'en sortir par la voie de ses fameux champs d'honneur), c'est à cette immersion que nous invite ce récit à la saveur nostalgique et touchante, à l'expression d'une élégance jouissive. La galerie des personnages est hétéroclite, elle gravite autour du kiosque comme une constellation pittoresque, avec en tête de gondole Chirac ou Norbert les duettistes désoeuvrés, l'un surnommé ainsi parce qu'il attend sans commune mesure un appartement de la mairie, toujours sapé comme un ministre pour un rendez-vous avec l'institution, l'autre au destin tragique, anciennement factotum de Jacques Brel d'après ses dires, excusez du peu. Jean Rouaud se fait le porte-parole digne et commémoratif de cette galerie, son hommage est vibrant, humaniste. (« Tout me revient à mesure que je regagne le temps du kiosque, toute une galerie magnifique. Comme je leur dois à tous. Comme ils m'ont aidé à me concilier le monde, comme ils m'ont appris. Comme j'aimerais à mesure qu'ils s'invitent leur faire la place qu'ils méritent ici. ») À l'image du kiosque dans lequel les sujets de conversations peuvent être imprévisibles, même si la plupart des échanges s'y limitent à des bons mots ou des réflexions sur la météo, le récit nous embarque dans des thématiques diverses et variées, de la politique française à l'état du monde en passant par la passion des courses ou celle de la couture, des différentes guerres ou de l'architecture, sans oublier la genèse de l'auteur, son parcours et son évolution littéraire au contact de ce beau monde populaire (ou artistique comme M. le peintre maudit), itinéraire d'un « sans-papiers poétiques » avide de nouvelles formes littéraires, finalement éclos en romancier débarrassé des contingences de la modernité. (« Le travail de classement et les comptes achevés, dérangé par rien que par le martèlement de l'averse sur le toit de plexiglas, j'avais tout le temps de la regarder tomber. Et c'était mon pays de pluie qui ressurgissait. LE kiosque patiemment recollait les morceaux de mon enfance. ») J'ai trouvé ce récit de vie le plus souvent beau, toujours passionnant (tant dans sa partie altruiste avec les différents protagonistes du kiosque, que dans sa partie plus égotiste consacrée au cheminement artistique de l'auteur pendant cette période). Je ne sais trop qu'en dire de plus. Si, voilà un auteur qui n'oublie pas ses sept années passées dans le kiosque, les anecdotes le poursuivant parfois aussi après, au long de son parcours d'auteur reconnu. Voilà un lecteur comme moi qui je ne sais pourquoi avait délaissé cet auteur, emballé que j'avais été pourtant dans les années 90 aux lectures de « Les champs d'honneur », « Le monde à peu près » ou « Des hommes illustres ». Et voilà un livre à cinq étoiles bien méritées et bien suggestives comme toutes les notations de lectures, à laquelle je rajouterais bien une demi-étoile supplémentaire si je pouvais, pour l'envie que j'avais à le découvrir, et surtout la joie que j'ai eu à le recevoir. Un gros merci pour le cadeau aux Éditions Grasset, à Masse Critique et Babélio. + Lire la suite |