Sa vie fut modeste, retirée, et il ne connut ni la faveur des grands ni les douceurs de la renommée. Seuls, quelques bourgeois et quelques chanoines apprécièrent son art et confièrent au peintre l'exécution de tableaux religieux. Mais que valait cette gloire restreinte, comparée à l'éblouissante mémoire laissée par les Van Eyck, comparée surtout à l'espèce de dictature artistique que Rogier van der Weyden exerça si longtemps sur les pays de Flandre? Lorsque celui-ci eut disparu, Van der Goës réussit, après de nombreuses années de labeur, à se pousser au premier rang; ses compatriotes le considérèrent un moment comme le plus grand peintre de l'époque, mais cet éclat fut éphémère. Le génie s'éteignit brusquement, anéanti par une de ces catastrophes où sombre l'esprit avant le corps. Il devint fou.
Les documents de la ville de Gand mentionnent à différentes reprises, mais en termes discrets et sans citer de noms, l'épisode sentimental qui traversa la vie de Van der Goes. Aucune lumière nouvelle n’est venue éclairer les phases obscures de ce roman d'amour. Il semble, au mystère des allusions, que I' objet de cette passion dut être une femme de haute importance et, vraisemblablement, les soupirs du de pauvre peintre ne furent ni écoutés ni même entendus, si l'on en juge par le drame inattendu qui hâta sa fin. II y a certainement corrélation, lien de cause à effet, entre la crise de mysticisme qui jeta Van der Goes hors du monde et le conflit sentimental dont nous ne savons rien, mais d’ ou nous pouvons augurer, sans crainte d’erreur, qu’il sortit désabusé et meurtri.