Par conséquent, tant que la maison ne serait pas remise en état, son rêve vieillirait en elle, avec elle. Or, si un bon bordeaux se bonifie avec les années, en revanche, la fermentation d’un désir qui ne parvient pas à se réaliser finit, par pourrir l’existence du rêveur, lequel s’en trouve aigri. Il se transforme alors en quidam rebutant que l’on flaire à distance, avec méfiance et jugement; comme ces gens que l’on dit hostiles et impénétrables; en qui, sous cette apparence, cette enveloppe de glaise qui les tient enfermés, circule non pas du sang, mais de l’acide; acide qui se garde le cœur pour la fin. La vraie fin. Lorsque l'espoir est si déchiqueté que la vie, pour retrouver son sens, doit en recoller les morceaux, malheureusement égarés.
Elle savait aussi qu’à trop guetter les alentours par peur du piège, on oublie de regarder devant, et, le temps passant, c’est quand on s'y attend le moins que l’on finit par découvrir, trop tard, que la chausse-trappe se trouvait là, juste devant nous, attendant l'instant de refermer ses dents métalliques sur notre jambe…
Il faisait semblant d'être heureux. Elle le voyait à ses sourires factices, à sa tendance exagérée à dédramatiser les tracas quotidiens. Il séquestrait son bonheur. Et, s'il arrivait à l’otage de fuir, et à son ravisseur de l’agripper? Et si la vigueur de ce dernier ne se renouvelait pas? Si elle s'étiolait? C’était sa grande crainte; elle avait peur de le voir, à la longue, se transformer en homme alangui, terne, presque mort. Faith ressentait le faux-semblant de son bien-aimé et cette affectation l'attristait et amplifiait son sentiment d'avoir agi en pure égoïste.
Il était ressorti de cet accroc conjugal la leçon que tout couple devrait connaître avant de se divorcer : à partir du moment où l’on se sait aimé, les défauts de l’autre doivent se prendre comme un défi commun à relever et non un prétexte à l’abdication.
Il fallait bien qu’il le reconnaisse : les rejetons de la Prémonition Mère, toujours aussi indescriptibles, grandissaient à une vitesse affolante et suçaient son attention, son énergie. Il se savait tendu et hier, durant le repas, sa conscience, l'espace d'un fugitif moment, s'était défilée. De cet instant sa mémoire conservait une trame vierge. Décidément, ces créatures ténébreuses s’activaient à le rendre fou, et pour cause, elles se nourrissaient de ce qu'elles cultivaient : la folie.