Avec son dernier roman,
La Princesse au Petit Moi,
Jean-Christophe Rufin nous livre à nouveau un récit délicieux que l'on savoure comme une exquise pâtisserie ou comme un vin d'excellence. On se lèche les babines à chaque chapitre. On se délecte des facéties du petit consul autant que des truculences de Shayna, son associée providentielle dans une enquête rocambolesque.
En réalité, privée de son appareillage littéraire, cette enquête serait on ne peut plus banale, digne des plus insignifiants paparazzi : une princesse au destin hors du commun, lassée du monde guindé dans lequel elle évolue, est piégée par un escroc séducteur et manipulateur.
Mais rien dans ce récit n'apparaît comme banal. Peu importe que la principauté du Starkenbach ait ou non jamais existé, peu importe les maladresses et la naïveté d'Aurèle, peu importe la grossière impétuosité de Shayna, peu importe la désespérante inertie de la princesse , tout est source d'émerveillement, d'étonnement, de consternation, d'amusement ; rien ne laisse indifférent parce que tout est perçu à travers la sensibilité d'Aurèle Tamescu. Observateur minutieux, écoutant infatigable, le petit consul fait preuve d'une perspicacité surprenante, habile à se faire passer pour insignifiant, agile pour débusquer les secrets les mieux gardés, récalcitrant à la violence mais capable d'y avoir recours indirectement, expert dans l'art de discerner les failles de ses adversaires. Avec Shyna, son exact contraire féminin, ils forment un couple d'enquêteurs redoutable que rien ne décourage. Cette cocasse association, aussi efficace qu'inattendue, donne au récit une dynamique fringante et pétillante. Et le lecteur ressent un besoin irrépressible de faire résonner mentalement l'accent roumain d'Aurèle auquel répond celui, rauque et kurde, de Shayna dont le langage péremptoire et saccadé est d'autant plus drôle qu'elle y supprime ce qui sans doute effraie le plus les étrangers dans la pratique de la langue française : la conjugaison des verbes.
de tout cela, émane un univers à la fois insolite et familier, infiniment humain, où l'étranger devient le même et où le même devient étranger. Et pardessus tout, s'impose cette présence constante et rayonnante d'Aurèle Tamescu qui ne parvient à faire exister dans sa romanesque réalité sa puissante intériorité que lancé au piano, après quelques verres de vin blanc, dans une sérénade effrénée.
Mais cela, on le savait déjà. Alors, ses prochaines aventures… à Obosk ? On est bien impatient de les lire.