Citations sur Dark Island (12)
Ce n'est vraiment pas bon de tout garder pour soi. les idées qu'on rumine ressemblent à de vieux champignons qui pourrissent dans des caves sombres et qui sentent le moisi. J préfère ceux qui poussent au grand air et qu'on va ramasser au petit matin, avec de la rosée dessus, et encore, eux aussi ont besoin de fumier pour prospérer...
La pluie fouettait les vitres en y traçant des balafres argentées, tandis qu'en contrebas les vagues allaient se heurter contre les rochers en un grondement sinistre comme des brisants dans l'Atlantique. Elle exultait. Puis le tonnerre éclata, des éclairs se mirent à enflammer le ciel, illuminant la mer, la crête blanche des lames de fond venant trouer l'obscurité des eaux. La pluie redoubla d'intensité. p133
(...) elle se mit à réfléchir sur la manière subtile dont une vie se construit, à partir d'une immense variété de rencontres et d'événements. Comme un dessinateur inspiré qui démarre d'un seul trait avant de tracer des spirales, des détours, des rajouts, et de conclure par un ensemble de figures et d'arabesques que l'on pourrait croire sans lien avec le premier coup de crayon.
Des vaguelettes ondulaient paresseusement sur le sable blanc, des mouettes plongeaient en piqué vers la mer, le garçon sifflotait doucement, l'air absorbé, continuant à pêcher, ignorant toujours Shirin, et elle, à la fois amusée et agacée, bien déterminée à ne pas céder, s'installa sur un rocher plat pour observer Storn.
L'intensité de l'orage qui semblait avoir pris possession de l'île était à son maximum. Elle écarta les rideaux pour s'installer sur la banquette et mieux se fondre dans la colère nocturne des éléments déchaînés. p133
Venn ne comptait pas. Storn, si, qui lui appartenait. Il ne s'agissait pas d'une volonté d'exercer un quelconque pouvoir sur l'île ni de contester les privilèges de lady Le Breton. Elle souhaitait seulement qu'on lui reconnaisse le droit de vivre ici, de se fondre dans toute cette beauté, vagabonder en toute liberté, méditer des heures entières face à la mer, dans l'embrasure d'une fenêtre. Et peut-être qu'au bout du chemin, elle trouverait une paix intérieure qui lui permettrait de se réconcilier avec la vie. (p125)
A elle seule, Storn, avec sa magie et sa beauté, démultipliait son énergie. Elle se sentait comme transfigurée, purifiée, habitée d'une incroyable et mystérieuse force qui transcendait tout et lui donnait une perception métaphysique de la réalité. Storn avait une âme, elle l'aimait pour tout ce qu'elle représentait, la solitude, la dignité, la poésie.
C'était définitif, elle voulait respecter le secret de ce lieu et pour cela ne jamais y pénétrer, comme elle se refusait à forcer l'intimité de tout être humain de son entourage. Elle trouvait inconcevable de se mêler aux promenades si banales des hordes d'excursionnistes qui s'embarquaient sur le Jonquille. Storn était un lieu sacré, à part, unique. Le symbole de l'amour. Un sentiment qu'elle n'avait pas encore éprouvé.
Elle repensa alors à la façon dont le motif de sa vie était à nouveau en train de s'enrichir -- encore un de ces coups de pinceau surprises qui viennent se déposer sur la toile pour compléter le tableau. Une nouvelle courbe était en train de se dessiner sous ses yeux, elle n'était pas encore intégrée au croquis, mais, comme une fusée explose en mille étoiles dans la nuit sombre avant de retomber sur terre, elle allait bientôt se poser en rajoutant une arabesque à son destin. Seule Storn comptait pour elle. Au fond d'elle, elle avait toujours su que l'île lui appartiendrait un jour. Et ce jour était enfin arrivé.
Le destin est semblable à un dessin, pensa-t-elle. Il y a des accidents, des imprévus, des lignes brisées, certains gestes ne mènent à rien, d'autres, en revanche, gardent leur importance jusqu'au bout, on les retrouve dans le portrait longtemps après qu'il a été achevé.