"C'est drôle : peut-être faut-il , comme je l'ai toujours fait, haïr la vie dans le fond pour l'adorer sous toutes ses formes."
- Vous avez quel âge ? dit-il.
A ma grande stupeur, je m'entendis répondre la vérité :
- Quarante-cinq ans.
- Vous avez de la chance, dit-il.
Je le regardais ahurie. Il devait avoir vingt-six ans, peut-être moins.
- De la chance ? Pourquoi ?
- D'être arrivée jusque là. C'est une bonne chose de faite.
"C'est terrible, finalement, d'avoir le bonheur facile. C'est très astreignant, le bonheur, on ne peut plus s'y dérober qu'à le neurasthénie."
La terre seule me rassure, quelle que soit la part de boue qu'elle contient.
La route du bord de mer, à Santa Monica, près d'Hollywood, s'allongeait, droite,implacable,sous la ronronnante Jaguard de Paul. Il faisait chaud, tiède, l'air sentait l'essence et la nuit.
Je le tenais par la nuque, je lui caressai les cheveux, je lui embrassai les temps, j'étais désolée comme devant un chagrin d'enfant. Car c'était un enfant qui sanglotait contre moi, un enfant sonné par la vie. Je murmurais des mots vagues dans le genre: "Allons, voyons, calmez-vous, ce n'est rien".
Dans les phares, surgi comme un fou ou plutôt comme un de ces mannequins de paille disloqués que j’avais vus en France, dans les champs, un homme se jetait vers nous. Je dois dire que mon blondinet eut un fameux réflexe. Il freina à mort et jeta sa voiture dans le fossé de droite en même temps que sa belle compagne – je parle de moi. Je me retrouvai, après une suite de visions étranges, le nez dans l’herbe, mon sac à la main : chose curieuse, car je l’oublie généralement partout. (Quel réflexe me fit saisir ce réticule avant ce qui eût dû être un accident mortel, je ne le saurai jamais.) Toujours est-il que j’entendis la voix de Paul prononcer mon nom avec une angoisse flatteuse et que, rassurée sur son sort, je refermai les yeux, plus que soulagée. Le fou n’avait pas été touché, j’étais intacte, Paul aussi. Avec les formalités à accomplir, le choc nerveux, etc., j’avais une bonne chance de dormir seule ce soir-là. Je murmurai « tout va bien, Paul » d’une voix mourante et m’assis confortablement dans l’herbe.
Qu’on me comprenne bien. Je n’ai jamais aimé, je n’aime pas, je n’aimerai jamais les très jeunes gens, ceux que l’on appelle les minets en Europe. Leur vogue croissante – chez beaucoup de mes amies, entre autres – m’a toujours paru étonnante. Presque freudienne. Dès galopins qui sentent encore le lait n’ont pas à se blottir dans les bras des dames qui sentent le scotch. Cependant, ce visage retourné sur la route, dans la lumière des flammes, ce visage jeune et déjà si dur, dans sa perfection, me remplit d’un curieux sentiment. J’eus en même temps l’envie de le fuir et de le bercer.
Quelque chose de tendre, de discret, de fichu au départ.