Oui, messieurs, c'est un fait éclatant comme le soleil que les hommes de ce temps ont pris en main le gouvernement de leurs destinées. Toute sorte de tutelle leur est devenue intolérable. Ils ne veulent confier à aucune autorité sans contrôle le soin de fixer leurs croyances, de maintenir leurs droits, d'administrer leurs intérêts. Dans ce naufrage immense de toutes les autorités, une seule reste debout, c'est l'autorité de la raison.
Il n'est aucun de vous, messieurs, qui ne sente et qui ne dise que l'époque où nous vivons n'est point une époque ordinaire. Pour l'observateur le moins attentif, c'est en effet chose évidente que nous traversons une de ces crises d'où les sociétés humaines sortent dissoutes ou régénérées. Comment notre civilisation si brillante et si fière se trouve-t-elle aux prises avec cette alternative redoutable? Il est aisé de le concevoir. Une grande et antique société était encore debout il y a soixante années; elle avait reçu en héritage des générations antérieures une foi religieuse, une règle des mœurs, toute une organisation qui embrassait dans ses cadres immenses le foyer domestique, la vie civile, l'état.