Après avoir tenté quelques dizaines de pages de L'amica geniale de
Elena Ferrante, j'ai abandonné sans regret et l'idée m'est venue de me consacrer à cet ouvrage de
Goliarda Sapienza que j'avais trouvé dans une boîte à livre et dont le 4eme de couverture me semblait bien répondre à ce thème de "l'amie prodigieuse".
L'amie prodigieuse c'est ce que sont pour l'une pour l'autre Goliarda et Erica dans ce texte, qui se présente comme une relation autobiographique d'un épisode relationnel et affectif, profondément lié au contexte très singulier des années 50 et 60 dans le village côtier de Positano.
Le village encore préservé du tourisme de masse et de la modernité est décrit comme un refuge, un lieu de ressourcement qui suspend et semble inverser le cours du temps.
Dans ce cadre construit comme un huis clos entre barques, petites calanques et village en escaliers, deux femmes se croisent et s'apprivoisent. le prodige de leur lien tient au caractère presque sacré de ce lieu et de la gratuité de leur relation favorisée par une communauté close et rassurante.
Dans cet espace protégé, ces femmes qui apparaissent comme des figures mythiques et distantes : l'actrice de cinéma militante de gauche aux idées libertaires, l'aristocrate à la beauté hiératique et au mode de vie jet set - vont tomber l'armure pour révéler la nudité de leur destin.
Si le récit se focalise sur le récit de vie d'Érica, la fascination que celle ci exerce sur la narratrice principale reflète sa propre ambivalence. Cette femmes otage de son milieu familial dévoile une vie faite d'abus, de culpabilité et d'emprise dans laquelle la paix de Positano est un illusoire refuge.
Le propos est sous tendu par un questionnement métaphysique sur le sens du sacrifice et la question de la sainteté féminine.
Décrite comme une déesse antique retranchée dans sa maison comme une olympe de chaux et de verre, vénérée par la communauté de Positano, Erica est une figure féminine castrée de sa maternité, utilisée par les autres et notamment par les hommes pour leur gloire et pour sa perte.
La seule capable de l'entendre dans sa vérité sera cette providentielle amie athée, seule à même d'être compagne de cette âme en quête de Dieu, un Dieu va nu pied qui marche à ses côtés, rejetant le Dieu patriarcal qui lui a dénié la liberté de décider de sa vie.
Alors que les ravages de la modernité arrivent à Positano et que tout semble s'effondrer, Goliarda sera avec la communauté populaire et humble du village témoin de son martyr silencieux et parfumé, ultime floraison de la grâce, dans l'étrange pièce de sa maison qui révèle enfin sa destination de crypte et tombeau.
Crypte d'une martyre, tombeau des illusions, témoignage de ce que la violence de la société fait au corps et à l'âme des femmes: il y a de tout cela dans ce livre intrigant.
Il ne restera pas dans ma bibliothèque comme un incontournable mais vous aurez compris que sa lecture m'a donné à penser et envie de découvrir un peu plus cette autrice.
Un point aussi pour les éditions du Tripode dont les ouvrages sont esthétiquement soignés et qui a eu la judicieuse idée de donner en final quelques éléments biographiques éclairants au sujet de l'auteur.