Un gros coup de coeur !
Ce roman est divisée en deux parties : La première dédiée aux circonstances et aux conséquences de l'arrêt brutal de l'activité de la mort sur toute une population dans un pays, et juste un seul pays ; ceci ne concernant que les humains et non les animaux et végétaux, laissant tous ces habitants à un avenir d'immortalité. La deuxième est consacrée à la remise en service de la mort, puis à un évènement singulier mettant en lumière un personnage en particulier.
En premier lieu, s'arrête de s'abattre sur la population la mort, au premier jour de l'année. Ce qui s'avère être au fil du récit une catastrophe, les pompes funèbres obligées de se reconvertir avec les animaux domestiques, les maisons de retraite et hôpitaux surchargés, les compagnies d'assurance mettant en place un « gentlemen's agreement » afin de sauver leur légitimité, l'Eglise voyant s'effondrer tous les fondements de son existence « si la mort disparaît, il n'y aurait plus de résurrection possible et que sans résurrection l'église perdrait tout son sens », les familles désabusées et s'en remettant à une pratique humiliante et honteuse. La « Maphia » (écrit comme cela dans le texte) vient « sauver » la population avec une organisation sous le manteau, permettant de soulager les familles (en échange d'un pécule non négligeable, inutile de le mentionner) en menant les moribonds en dehors du pays (idée de départ d'une famille d'agriculteurs et suivi par d'autres, organisée ensuite par la Maphia). Mais il s'avère que les 3 pays limitrophes commencèrent à voir d'un mauvaise oeil la venue de tous ces gens provoquant des enterrements clandestins et un peu n'importe où, qui plus est. La Maphia trouva donc une solution, lui permettant d'augmenter de surcroît ses tarifs. Solution qui fût également bénéfique pour les pompes funèbres. Les républicains en profitèrent pour prôner leur cause dans ce pays monarchique, mettant en exergue l'injustice et la contre logique de ce système face à l'immortalité.
En second lieu, la mort reprend finalement du service face aux incohérences de cette suspension momentanée, mais avec un petit changement, reconnaissant que « le procédé habituel (est) injuste et cruel consistant à retirer la vie aux gens en toute mauvaise foi, sans préavis(…) ». En effet, les futurs morts recevront une lettre 8 jours avant la date fatidique, afin de leur laisser le temps de faire toutes les démarches nécessaires au bon ordre de leurs affaires. Mais en attendant, tous les moribonds s'éteignirent simultanément au 1er janvier minuit, pour un retour à la normale, un réajustement. Tous les habitants furent heureux de cette modification, cependant, l'annonce d'une mort future sous huitaine angoissa la population et une psychose se mit en place. « La semaine d'attente édictée par la mort avait pris la proportion d'une véritable calamité collective ». C'est alors qu'un fait inattendu pour la mort apparut, qui la plongea dans l'expectative et l'obligea à réfléchir à la bonne mise en oeuvre d'une solution contrecarrant ce phénomène. Un violoncelliste a fait son apparition dans l'histoire… La mort arrivera t'elle donc à un mode opératoire efficace et à son application ?
Le style de
José Saramago est très particulier. Il fait de longues phrases qui ont l'air de ne jamais s'arrêter, avec des virgules à profusion. Cela surprend au départ, mais une fois bien lancé on s'habitue très bien au style voulu de l'auteur : « la syntaxe chaotique, l'absence de point final, l'élimination obsessive des paragraphes, l'emploi erratique des virgules et, péché sans rémission, l'abolition intentionnelle et diabolique de la lettre majuscule ». Les dialogues sont complètement intégrés au récit, ce qui signifie qu'il n'utilise pas les tirets ou guillemets, juste des majuscules pour la première lettre du mot prononcé par chacun des interlocuteurs. On s'y fait très vite. Il est le maître de l'ironie, de la dérision. Avec un thème comme celui là c'est juste excellent ! Et son humour, enrichi d'un vocabulaire exceptionnel, est intelligent et émoustillant. On se retrouve dans des situations volontairement loufoques, une façon, à mon avis, de minimiser l'irrévocabilité de la mort. L'utilisation qu'il fait de digressions rend très vivant le roman, on a pour ainsi dire le sentiment de discuter avec le narrateur et c'est d'un caustique plaisant. « L'humanisation » qu'il fait de la mort la rend presque sympathique et on en oublierait presque qui elle est en réalité, la faisant passer, par exemple, pour une employée comme une autre avec ses soucis techniques, sauf que elle, elle a des pouvoirs ! Il fait parler la mort et même sa faux, ce qui est franchement très amusant et nous fait penser qu'on parle d'un sujet léger, alors qu'il n'en est rien.
C'est un réel coup de coeur, je n'avais jamais lu ce type de roman avec une écriture superbe, une idée plus qu'originale et une rhétorique formidable. Je vous le conseille fortement !
Premières phrases du livre : « le lendemain, personne ne mourut. Ce fait, totalement contraire aux règles de la vie, causa dans les esprits un trouble considérable, à tous égards justifié, il suffira de rappeler que dans les quarante volumes de l'histoire universelle il n'est fait mention nulle part d'un pareil phénomène, pas même d'un cas unique à titre d'échantillon, qu'un jour entier se passe, avec chacune des généreuses vingt-quatre heures, diurnes et nocturnes, matutinales et vespérales, sans que ne se produise un décès dû à une maladie, à une chute mortelle, à un suicide mené à bonne fin, rien de rien, ce qui s'appelle rien. Pas même un de ces accidents d'automobiles si fréquents les jours de fête, lorsqu'une irresponsabilité joyeuse et un excès ‘alcool se défient mutuellement sur les routes pour décider qui réussira à arriver à la mort le premier. le passage à une année nouvelle n'avait pas laissé dans son sillage l'habituelle traînée calamiteuse de trépas, comme si la vieille atropos à la denture dénudée avait décidé de rengainer ses ciseaux pendant une journée. »