AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,2

sur 135 notes
"Homo Domesticus, une histoire profonde des premiers États" de James C. Scott, est un essai original et de qualité sur l'émergence et la nature profonde des États dans leur jeunesse et leur maturation progressive.

James C. Scott, anthropologue de son état, adopte tout au long de son ouvrage un regard résolument anarchiste sur les États et leur apport à l'humanité et au monde vivant en général.
Car l'essentiel de son récit repose sur l'idée – qu'il appuie bien entendu de preuves aussi minces soient-elles parfois – que l'émergence des Etats aurait constitué un tournant liberticide dans l'histoire de l'humanité.
Cela ne l'empêchera cependant pas de conserver une posture critique et constructive vis-à-vis de la recherche et des données disponibles, archéologiques, littéraires, climatiques ou ayant lieu à la biodiversité.

Le titre même de l'ouvrage, ”Homo Domesticus“, est à la base de sa thèse : en agissant directement sur son environnement, via notamment la domestication des animaux et des végétaux/céréales censés donner les meilleurs rendements, l'homme se serait ainsi lui-même domestiqué et cloisonné dans un espace aménagé par lui et dédié à la production agricole : c'est le concept de domus qui est ici développé.

Ce complexe appelé domus se serait distingué par une densité démographique sans précédent dans l'histoire de l'humanité, et une cohabitation voire promiscuité inédite entre Homo sapiens et les autres espèces animales (cochons, chiens, ovins, bovins, rats) végétales (céréales, légumineuses…) et les agents pathogènes et autres microbes responsables d'épidémies dévastatrices.

Cette domus constitue pour James C. Scott la première phase de l'asservissement de l'homme, en comparaison de ses ancêtres et confrères chasseurs-cueilleurs au régime alimentaire plus équilibré, moins exposés aux épidémies et libres de se déplacer en fonction de leurs besoins. Ces premiers piliers à la base de la sédentarité constituent pour lui non pas une évolution mais une détérioration de la qualité de la vie humaine ; et également une structure indispensable à la formation des Etats archaïques.

Indispensable car permettant de rassembler en un espace restreint une densité de travailleurs sans commune mesure, plus simple donc à contrôler par des élites politico-militaire ; plus simple à réquisitionner pour la conscription ou les corvées, et surtout pour imposer ces groupes sédentaires sur leurs – potentiels – excédents agricoles.

C'est là qu'intervient un autre de ses concepts (développé à diverses échelles par d'autres auteurs), le couple céréales/main d'oeuvre sur lequel s'appuie l'Etat. Pourquoi les céréales ? Car celles-ci et particulièrement le blé et l'orge ont une maturation homogène et linéaire qui facilitait le “travail” d'imposition du collecteur d'impôt.
Citons à cet effet un adage sumérien mentionné en p. 172 : « Ce n'est rien d'avoir un roi ou un seigneur, l'homme à craindre, c'est le collectionneur d'impôt ».

De cet aménagement du territoire, continuellement modifié par l'homme pour améliorer l'irrigation des cultures, et amenant à une exploitation intensive des sols par un nombre toujours plus importants d'agriculteurs enchainés à ces terres ; vient l'esclavage massif et toutes les sortes de travail forcé possible. D'une part l'esclavage à l'encontre des populations vivant à l'intérieur de cette bulle et pouvant être exploitées facilement, mais aussi à l'égard des populations vivant en périphérie ou en dehors des frontières de l'Etat et constituant une main d'oeuvre potentielle en cas de perte de capital démographique au sein de la bulle centrale.

Il ne s'agit pas pour autant pour James C. Scott d'attribuer aux Etats archaïques “l'invention” de l'esclavage, qui existait avant même le regroupement de populations au sein de centres urbains. C'est d'ailleurs un des points clés de cet essai : l'Etat n'a fait que s'appuyer sur tous les éléments, déjà cités ou non, (Domus, regroupement urbain, esclavage, commerce, écriture) en place pour certains depuis déjà des millénaires pour organiser son autorité et son contrôle administratif.

Marqueur de son engagement anarchiste, et peut être aussi par volonté de provoquer les tenants d'un récit liant systématiquement civilisation et grandeur des Etats, James C. Scott lance dans la seconde partie de son essai un plaidoyer pour l'effondrement, et pour les peuples “barbares” ayant vécu pendant des millénaires en dehors de l'Etat ; à côté, en conflit ou en coopération avec eux.
Bien qu'il ne soit pas le premier à aller dans ce sens, ce point de vue de l'auteur est intéressant en ce qu'il nous pousse à changer notre perception du silence des sources, qu'elles soient littéraires ou archéologiques ; afin de ne plus considérer l'arrêt de constructions monumentales comme un arrêt de la production artisanale ou culturelle (désormais orale).
Et de citer en exemple les multiples cas d'interrègnes en Egypte, dans les multiples petits états mésopotamiens ou encore les “âges sombres” ayant touché le monde grec pendant plusieurs siècles ; et pendant lesquels se sont par exemple peu à peu constituées les épopées de l'Iliade et l'Odyssée.

Il faut bien garder en tête, que malgré sa volonté de rester le plus professionnel possible, James C. Scott reste marqué par un biais en défaveur de l'Etat en tant que structure sociale et politique, comme le montre son apologie du monde barbare ; et que son objectif dans cet essai reste de le présenter sous ses aspects les plus inhumains. A confronter donc avec des chercheurs plus mesurés.

Mais rien ne vaut de lire cet essai par vous-même !




Commenter  J’apprécie          00
Initialement paru sur mon blog

Enfin terminé _Homo Domesticus : Une histoire profonde des premiers États_, de James C. Scott. À contre-courant de la grande histoire de la civilisation apportant le progrès et le bien, il raconte de manière argumentée l'émergence des premiers États, mais aussi leurs limites. Domestication, agroécologie, maladies, contrôle de la population, fragilités, tout y passe. En prime, il montre que loin d'être une avancée définitive permise par la maîtrise de l'agriculture, les premiers États étaient des organisations subissant plus de contraintes que des peuples “libres” pratiquant aussi une agriculture, et que la frontière entre civilisation et barbares était très poreuse avec de forts transferts de population d'un système à l'autre.
Lien : https://www.blog.skiserv.eu/..
Commenter  J’apprécie          00
Excellent livre, bien documenté et qui interroge de manière percutante nos croyances sur l'histoire de notre espèce, ses choix pour la sédentarisation, l'agriculture...
Un livre qui peut paraître long mais qui reste accessible tout en développant des sujets académies profonds.
Commenter  J’apprécie          00
Une approche de l'urbanisation et de la domestication intéressantes. Cependant, certains arguments ne tiennent pas la route. Je pense à tous ceux liés aux épidémies et aux pathogènes (par exemple, affirmer que parce qu'humains et animaux ont la même maladie, celle-ci est due aux mêmes pathogènes...non, c'est très rarement le cas, chaque pathogène est spécifique d'une espèce (pensons au VIH, FIV, SIV, etc; même maladie, pathogènes spécifiques d'une espèce) ou nier complètement et délibérément l'efficacité des barrières d'espèce dans les contaminations)). L'auteur n'a a l'évidence aucune connaissance en microbiologie et s'appuie fortement sur un ouvrage d'un autre anthropologue connu qui date des années 70, qui lui aussi basaient ces arguments sur les épidémies et les pathogènes tout en ne maitrisant pas du tout les notions avancées. le serpent qui se mord la queue dans l'erreur. Nous avons donc affaire ici à deux anthropologues extrêmement réputés qui appuient leurs thèses sur des notions non maitrisées mais que personne ne contestent car ces auteurs sont entourés de l'aura du prestige. Autrement dit, ils usent de l'argumentation d'autorité pour rallier les autres scientifiques et le grand public à leur cause. D'où ma note. Certains points sont intéressants mais l'ensemble est très très contestable et propage des théories/hypothèses fausses chez les scientifiques mais aussi dans le grand public.
Commenter  J’apprécie          00
L'une des choses de que je recherche en lisant un livre, en particulier un essai, c'est d'être dérangée, chatouillée, dans mes habitudes de penser. J'aime les livres qui nous font remettre en question ce que l'on a jamais pensé à secouer par nous mêmes. Et Homo Domesticus de James C. Scott en est un bon exemple. Je connaissais son livre précédent Zomia mais il est toujours sur la liste de lecture.
J'ai donc commencé par celui-ci, (peut-être parce qu'il me semblait le plus dérangeant ?). Je m'attendais à apprendre beaucoup et je n'ai pas été déçue. Mes connaissances en matière de Préhistoire se limitaient à quelques souvenirs d'école, cela pourtant ne gêne en rien la compréhension du livre tant le propos est clair et accessible. En plus, de développer mes connaissances sur l'époque il a permis également de la mettre à jour avec les dernières découvertes archéologiques. En effet, l'auteur présente lui-même son ouvrage comme une somme des dernières recherches sur la Mésopotamie en particulier. Ce que l'on apprend ne donne qu'envie de creuser. Loin des clichés et du roman de la "naissance de la civilisation", nous découvrons que les premiers États n'avaient de stables ou de pérennes, que la sédentarité ne s'oppose pas au nomadisme, ni n'était définitive une bonne fois pour toute. La sédentarité a ses débuts n'avait rien d'un long fleuve tranquille, mais au contraire, était soumise aux maladies, à plus de travail, aux impôts et autres corvées. Bref, l'histoire humaine du monde tel que nous le vivons ne s'est pas faite comme une ligne droite irréversible comme nous l'avons trop souvent entendu. La thèse de l'auteur étant que la domestication des animaux et des végétaux a entrainé aussi une domestication des hommes.
Ce livre m'a donné envie de lire Zomia, que je pense placé en plus haut dans ma liste de lecture.

PS: il s'agit ici de ma 1ère critique, alors soyez indulgents, pardonnez mes maladresses.
Commenter  J’apprécie          00
Une vue inversée de l'histoire officielle des barbares fidèle à "l'école des anthropologues anarchistes", tels que Graeber ou Clastres.
Dommage que les Etats les aient pour l'instant totalement éradiqués...
Commenter  J’apprécie          00




Lecteurs (428) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3199 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *}