AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,2

sur 135 notes
Ce livre esr représentatif des mouvements récents de remise en cause profonde des paradigmes de notre histoire humaine, ceux qui nous ont été enseignés et que l'on n'avait jamais eu l'idée de remettre en question.
En effet, le récit du capitalisme triomphant de nos états "démocratiques", et plus généralement de notre civilisation occidentale repose sur des idées reçues qui, selon l'auteur, ne resistent ni à l'analyse ni aux confrontations avec les traces archéologiques.
L'état ancien apparaît comme une construction artificielle, une prise de pouvoir de quelques uns sur la multitude qui n'y trouve globalement pas d'avantage décisif, une grande partie de la population étant de plus réduite a l'esclavage. La concentration de populations urbaines facilitait les épidémies et la spécialisation qu'implique la sédentarité entraînait l'appauvrissement du savoir des agriculteurs par rapport aux chasseurs cueilleurs, dommageable en cas de retour (très frequents) à un mode de vie antérieur.
L'effondrement dont on nous a rebattu les oreilles est une autre vision biaisée de ceux qui détenaient le pouvoir alors que la population retrouvait une vie plus libre et sans exploitation.
Les alliances entre populations barbares et les états étaient fructueuses et générait, déjà au Néolithique tardif, un commerce lucratif....
Bien écrit, bien documenté, très didactique et avec quelques touches d'humour, un livre à lire absolument même si on est déjà convaincu par les thèses développées.
On peut conclure également que les comportements humains sont restés quasiment les mêmes sur cette très courte période de 8000 ans.
Commenter  J’apprécie          140
Un véritable tour de force !
Réalisé par ce professeur de science politique et d'anthropologie de l'université Yale, James C. Scott, pour ce récit,- sérieux, documenté- qui se dévore (presque) comme un roman de « retro-anticipation ».
Qui se lit aisément par des non –experts, plutôt amateurs de littérature… que de sciences pures.

Où l'on découvre des Etats primitifs plutôt fragiles et des questions très intéressantes sur les mécanismes de diversification de l'alimentation, à l'origine des organisations, présentés avec érudition et un sens aigu de la pédagogie..
Une pause intelligente pour un panorama large de NOTRE monde, entre deux flots de lecture de littérature captivants, entre dystopies, uchronies, SF diverses et variées, qui peuplent mon quotidien.

C'était AVANT.
Tout simplement.
Commenter  J’apprécie          280
"Homo Domesticus, une histoire profonde des premiers États" de James C. Scott, est un essai original et de qualité sur l'émergence et la nature profonde des États dans leur jeunesse et leur maturation progressive.

James C. Scott, anthropologue de son état, adopte tout au long de son ouvrage un regard résolument anarchiste sur les États et leur apport à l'humanité et au monde vivant en général.
Car l'essentiel de son récit repose sur l'idée – qu'il appuie bien entendu de preuves aussi minces soient-elles parfois – que l'émergence des Etats aurait constitué un tournant liberticide dans l'histoire de l'humanité.
Cela ne l'empêchera cependant pas de conserver une posture critique et constructive vis-à-vis de la recherche et des données disponibles, archéologiques, littéraires, climatiques ou ayant lieu à la biodiversité.

Le titre même de l'ouvrage, ”Homo Domesticus“, est à la base de sa thèse : en agissant directement sur son environnement, via notamment la domestication des animaux et des végétaux/céréales censés donner les meilleurs rendements, l'homme se serait ainsi lui-même domestiqué et cloisonné dans un espace aménagé par lui et dédié à la production agricole : c'est le concept de domus qui est ici développé.

Ce complexe appelé domus se serait distingué par une densité démographique sans précédent dans l'histoire de l'humanité, et une cohabitation voire promiscuité inédite entre Homo sapiens et les autres espèces animales (cochons, chiens, ovins, bovins, rats) végétales (céréales, légumineuses…) et les agents pathogènes et autres microbes responsables d'épidémies dévastatrices.

Cette domus constitue pour James C. Scott la première phase de l'asservissement de l'homme, en comparaison de ses ancêtres et confrères chasseurs-cueilleurs au régime alimentaire plus équilibré, moins exposés aux épidémies et libres de se déplacer en fonction de leurs besoins. Ces premiers piliers à la base de la sédentarité constituent pour lui non pas une évolution mais une détérioration de la qualité de la vie humaine ; et également une structure indispensable à la formation des Etats archaïques.

Indispensable car permettant de rassembler en un espace restreint une densité de travailleurs sans commune mesure, plus simple donc à contrôler par des élites politico-militaire ; plus simple à réquisitionner pour la conscription ou les corvées, et surtout pour imposer ces groupes sédentaires sur leurs – potentiels – excédents agricoles.

C'est là qu'intervient un autre de ses concepts (développé à diverses échelles par d'autres auteurs), le couple céréales/main d'oeuvre sur lequel s'appuie l'Etat. Pourquoi les céréales ? Car celles-ci et particulièrement le blé et l'orge ont une maturation homogène et linéaire qui facilitait le “travail” d'imposition du collecteur d'impôt.
Citons à cet effet un adage sumérien mentionné en p. 172 : « Ce n'est rien d'avoir un roi ou un seigneur, l'homme à craindre, c'est le collectionneur d'impôt ».

De cet aménagement du territoire, continuellement modifié par l'homme pour améliorer l'irrigation des cultures, et amenant à une exploitation intensive des sols par un nombre toujours plus importants d'agriculteurs enchainés à ces terres ; vient l'esclavage massif et toutes les sortes de travail forcé possible. D'une part l'esclavage à l'encontre des populations vivant à l'intérieur de cette bulle et pouvant être exploitées facilement, mais aussi à l'égard des populations vivant en périphérie ou en dehors des frontières de l'Etat et constituant une main d'oeuvre potentielle en cas de perte de capital démographique au sein de la bulle centrale.

Il ne s'agit pas pour autant pour James C. Scott d'attribuer aux Etats archaïques “l'invention” de l'esclavage, qui existait avant même le regroupement de populations au sein de centres urbains. C'est d'ailleurs un des points clés de cet essai : l'Etat n'a fait que s'appuyer sur tous les éléments, déjà cités ou non, (Domus, regroupement urbain, esclavage, commerce, écriture) en place pour certains depuis déjà des millénaires pour organiser son autorité et son contrôle administratif.

Marqueur de son engagement anarchiste, et peut être aussi par volonté de provoquer les tenants d'un récit liant systématiquement civilisation et grandeur des Etats, James C. Scott lance dans la seconde partie de son essai un plaidoyer pour l'effondrement, et pour les peuples “barbares” ayant vécu pendant des millénaires en dehors de l'Etat ; à côté, en conflit ou en coopération avec eux.
Bien qu'il ne soit pas le premier à aller dans ce sens, ce point de vue de l'auteur est intéressant en ce qu'il nous pousse à changer notre perception du silence des sources, qu'elles soient littéraires ou archéologiques ; afin de ne plus considérer l'arrêt de constructions monumentales comme un arrêt de la production artisanale ou culturelle (désormais orale).
Et de citer en exemple les multiples cas d'interrègnes en Egypte, dans les multiples petits états mésopotamiens ou encore les “âges sombres” ayant touché le monde grec pendant plusieurs siècles ; et pendant lesquels se sont par exemple peu à peu constituées les épopées de l'Iliade et l'Odyssée.

Il faut bien garder en tête, que malgré sa volonté de rester le plus professionnel possible, James C. Scott reste marqué par un biais en défaveur de l'Etat en tant que structure sociale et politique, comme le montre son apologie du monde barbare ; et que son objectif dans cet essai reste de le présenter sous ses aspects les plus inhumains. A confronter donc avec des chercheurs plus mesurés.

Mais rien ne vaut de lire cet essai par vous-même !




Commenter  J’apprécie          00
Répétitif, ça tourne en rond, avec des arguments basés sur des anecdotes ou, parfois, des analyses différentes de ce que la source avance.

Scott a l'air d'être resté il y a 40 ans sur beaucoup de domaines, analyse la préhistoire selon quelques anciens rapports de fouille faits en Mésopotamie du Sud, peine à expliquer concrètement pourquoi les peuples ont mis autant de temps à se sédentariser et devenir agriculteurs (outre l'argument ressorti au moins 5 fois du : il y a 4 millénaires entre les premières traces de sédentarité et d'agriculture intensive alors qu'il prouve lui même qu'il existe des agricultures qui ne laissent pas ou peu de traces). le manque de preuve n'est pas une preuve en soi, comme il plaît à le rappeler avec - sûrement mon interprétation pour le coup - une pointe de mépris.

Son objectif a l'air d'être de montrer à quel point l'Etat est le mal, parce qu'ils ne durent pas longtemps dans l'Antiquité (certains de nos États actuels n'ont pas plus de 50 ans non plus mais, ça, il ne le rappelle pas) et ressort quelques arguments qui expliquent tout : les gens n'étaient pas contents parce que franchement c'est difficile d'être un sujet et les maladies. Puis il fait l'apologie des barbares, ces êtres primitifs violents mais qui avaient tout compris de vivre dans la nature sans travailler la terre. Puis nouvelle tirade sur les maladies ou l'irrigation et on reparle de l'Etat tout nul, des barbares et rebelotte.

Il est facile de sentir que Scott est passionné par son sujet (l'Etat en tant que force oppressive c'est tout nul) mais ce livre n'est pas profond, très bancal et malheureusement, on fait dire ce qu'on veut aux sources quand on les interprète comme on veut.
Commenter  J’apprécie          10
Initialement paru sur mon blog

Enfin terminé _Homo Domesticus : Une histoire profonde des premiers États_, de James C. Scott. À contre-courant de la grande histoire de la civilisation apportant le progrès et le bien, il raconte de manière argumentée l'émergence des premiers États, mais aussi leurs limites. Domestication, agroécologie, maladies, contrôle de la population, fragilités, tout y passe. En prime, il montre que loin d'être une avancée définitive permise par la maîtrise de l'agriculture, les premiers États étaient des organisations subissant plus de contraintes que des peuples “libres” pratiquant aussi une agriculture, et que la frontière entre civilisation et barbares était très poreuse avec de forts transferts de population d'un système à l'autre.
Lien : https://www.blog.skiserv.eu/..
Commenter  J’apprécie          00
Ce livre est une synthese aussi riche que passionnante de nos connaissances sur le vaste theme de l'émergeance des États. Moins innovateur mais plus facile a lire que le génial et un peu brouillon "Au commencement était..." de David Graeber et David Wengrow auquel il est absolument complémentaire. Les deux ouvrages sont devenus indispensables pour ceux que la thématique anthropologique et historique de l'aube des civilisations interpelle. Tout comme je l'avais fait pour le livre de Graeber et Wengrow, je préfere donner ici le compte-rendu d'un vrai spécialiste que je ne pourrais certainement pas égaler en qualité, celui en l'occurrence du chercheur Léo Montaz, libre de droits d'auteurs et disponible ici (excellente adresse): https://journals.openedition.org/lectures/32442


Dans la perspective de renverser les connaissances sur les premiers États, James C. Scott propose dans Homo-Domesticus une pertinente relecture de l'histoire ancienne. Partant du constat que, dans le « récit civilisationnel », l'émergence des premières cités-États, en particulier Uruk (-4000 à -2000 ans av. J.C.), est généralement associée à celle d'une humanité plus juste et plus sûre, James Scott se demande si ce n'est pas plutôt « l'effondrement » de ces premiers États qui a constitué un gain de bien-être pour l'humanité, mais également si les populations désignées cyniquement comme « barbares » – celles sans États – n'ont pas préféré rester en dehors d'un dispositif d'État « parce que les conditions de vie y étaient meilleures » (p. 13).

L'ouvrage s'ouvre sur une brève préface de Jean-Paul Demoule (professeur en protohistoire) qui a l'intérêt de bien situer cet opus dans l'oeuvre de James C. Scott, mais aussi dans le courant dit de « l'anthropologie anarchiste » auquel l'auteur est affilié, avec des figures telles que Marshall Sahlins et David Graeber. La réflexion au coeur d'Homo-domesticus s'inscrit dans le prolongement des réflexions classiques de ce courant, notamment celles de Pierre Clastres qui, dans La société contre l'État, interrogeait les stratégies de contournement des sociétés sans État pour échapper à l'emprise de ce dernier. Précisons dès maintenant que les réflexions de James C. Scott sur l'État sont anciennes et que la plupart des éléments exposés dans ce livre ne sont ni nouveaux ni sensiblement originaux. On retrouvera par exemple les grandes lignes de son raisonnement dans l'un de ses précédents ouvrages, Zomia, ou l'art de ne pas être gouverné. Tout l'intérêt d'Homo-Domesticus, au demeurant très accessible – écriture claire, ciselée et synthétique –, est d'assembler sous une forme proche du cours magistral un vaste ensemble de connaissances contemporaines sur la naissance des premiers États et d'interroger le « récit civilisationnel » dans une perspective critique, en prenant le point de vue des populations « non étatiques ». James C. Scott indique à juste titre en introduction que si l'État nous paraît historiquement une forme stable, c'est avant tout parce qu'il est la forme historique qui a laissé le plus de traces archéologiques : « Malgré la puissance et la centralité dont l'affublent la plupart des récits traditionnels, il faut bien reconnaître que pendant les milliers d'années qui ont suivi son apparition initiale, l'État n'a pas été une constante, mais une variable – et une variable assez mineure dans l'existence d'une bonne partie de l'humanité » (p. 32). On peut restituer synthétiquement les apports de cet ouvrage à travers les trois retournements de perspective qu'il propose : sur la domestication de la nature par les humains, sur le rôle protecteur des premiers États vis–à-vis du monde extérieur et sur la notion même de « civilisé », associée à la vie dans la cité.

Le questionnement relatif à la domestication s'exprime dès l'introduction à travers une formule bien trouvée : « Est-ce nous qui avons domestiqué le chien ou est-ce le chien qui nous a domestiqués ? Ce n'est pas si clair […] La question de savoir qui est au service de qui est presque métaphysique, du moins jusqu'à l'heure du déjeuner » (p. 35). En effet, qui gagne le plus à vivre dans la domus, ce complexe sédentaire dans lequel les hommes cherchent à faire cohabiter l'ensemble des ressources de subsistances qui lui sont nécessaires ? Les animaux y gagnent considérablement en confort de vie : ils sont logés, protégés, nourris, et cela sans fournir le moindre effort, si ce n'est celui de supporter leur mise à mort. Quant aux espèces cultivées, elles gagnent d'être soignées, protégées des mauvaises herbes et des espèces envahissantes, sélectionnées pour donner un meilleur rendement, au prix d'un travail très important des humains. On sait depuis longtemps que le travail agricole est bien plus chronophage que la chasse et la cueillette. Dans cette perspective, la pertinence de l'idée de domestication de la nature par l'homme peut être largement interrogée. En effet, quel est le gain réel de ces travaux pour les humains sédentaires, par rapport à la vie des chasseurs-cueilleurs, qui se contentent de prélever les ressources nécessaires ? Comme le dit l'auteur : « C'est “nous” qui avons domestiqué le blé, le riz, les moutons, les cochons, les chèvres. Mais si l'on examine la question sous un angle légèrement différent, on pourrait argumenter que c'est nous qui avons été domestiqués » (p. 101). Pire, la domestication de la nature s'accompagne aussi de l'apparition incontrôlée de nuisibles, de parasites et de maladies devant lesquels les humains sont impuissants. C'est un aspect longuement développé par l'auteur dans les chapitres 3 et 6 : le développement de maladies inconnues dans la domus puis dans les cités est probablement la conséquence la plus dramatique du regroupement humain, qui explique à elle seule une grande partie des cas « d'effondrement » de cités-États, lorsque des épidémies sont venues décimer en quelques semaines des populations entières. La vie dans la domus s'accompagnerait donc d'une perte substantielle en bien-être humain : les traces osseuses tendent par ailleurs à montrer que les groupes de chasseurs-cueilleurs, du fait de leur activité, étaient en meilleure santé et plus musclés que les populations sédentaires.

Le deuxième retournement de perspective, celui selon lequel la vie dans la cité-État serait plus sûre et plus juste que la vie dans la nature, permet à l'auteur de développer l'une de ses thèses centrales, déjà énoncée dans Zomia et qui donne son titre original à l'ouvrage – Against the grain. Il défend en effet l'idée que le développement de l'agriculture céréalière est au fondement de l'existence de l'État, caractérisé ici par l'existence d'un corps de fonctionnaires chargé de prélever l'impôt et d'administrer la population. James C. Scott démontre que les qualités intrinsèques aux céréales facilitent le fonctionnement de l'État (chapitres 2 et 4). Tout d'abord, les céréales sont aisément transportables, ce qui permet d'en faire une monnaie d'échange. Leur cycle de croissance est prévisible, simplifiant grandement le travail du percepteur d'impôt qui sait à quel moment venir chercher son dû. Elles peuvent être stockées dans des greniers pour anticiper les disettes, et peuvent aussi être de nouveau taxées en cas de nécessité, comme en période de guerre. Enfin, les stocks de céréales peuvent être comptabilisés, ce qui rend leur administration relativement précise. À l'appui de cette idée, James C. Scott observe que les premières traces d'écriture en Mésopotamie sont des tablettes qui comptabilisaient des céréales. En contrepartie de cette organisation « complexe », dans laquelle le percepteur d'impôt joue un rôle central pour l'État, quel surplus de sécurité et de bien-être gagnent réellement les populations ? Les individus étant soumis à une force coercitive qui prélève un impôt, leur sécurité n'est possible qu'en échange de ce dû ; lorsqu'ils ne peuvent pas payer l'impôt, ils deviennent des sujets endettés, passibles de travail forcé ou de violences. Leur liberté de se mouvoir est alors considérablement réduite. Dans l'ancienne Mésopotamie, par exemple, on peut penser avec l'auteur que les murs d'enceinte d'Uruk servaient tout autant à protéger la cité-État des envahisseurs qu'à empêcher les sujets d'en sortir. Enfin, le surplus de la production n'alimentait pas seulement la caste des gens au pouvoir, mais aussi leurs alliés et leurs ennemis, lorsque ces derniers prélevaient une partie des richesses en échange de la paix. Dans cette perspective, l'agriculture sédentaire n'apparaît donc plus comme une forme pacifiée de regroupement des populations, mais bien plutôt comme un asservissement à l'État. le chapitre 5 est d'ailleurs tout entier consacré à la question de l'asservissement et de l'esclavagisme, pratiques qui se sont considérablement développées dès lors que les premières cités ont eu besoin de main-d'oeuvre, renforçant ainsi l'idée que c'est l'homme lui-même qui a été domestiqué (p. 197).

Enfin, le troisième retournement concerne directement la notion de « civilisation ». La période de la naissance des États, au lieu d'être celle de la naissance de la civilisation, n'est-elle pas plutôt « l'âge d'or des barbares » ? En effet, pour ces derniers, la présence d'une cité-État à proximité pouvait présenter de nombreuses opportunités : celle de faire des razzias et de s'accaparer en quelques heures du produit d'un travail de plusieurs mois ou années (dans la logique de la « cueillette »), ou encore celle de se faire payer en échange de leur « protection » – avant tout contre eux-mêmes. L'auteur traite également des gains que les « bandes barbares » pouvaient obtenir en échange du contrôle des routes et des centres de commerce, et du rôle central de celles-ci comme passeuses de ressources, en particulier d'esclaves. James C. Scott observe que toutes ces activités de « partenariat » avec les États ne donnaient lieu à aucune forme d'impôt. Il défend donc l'idée que, tant que les États n'étaient t pas assez forts pour faire face aux invasions de barbares, leur existence permettait à ces derniers de multiplier les opportunités de s'approvisionner et de vivre dans de meilleures conditions que si leurs ressources se limitaient à la chasse et la cueillette. Il relativise cependant ce propos tout au long de l'ouvrage en rappelant par exemple que les risques épidémiologiques étaient plus forts pour ceux qui vivaient en dehors de l'État que pour les « citoyens », ces derniers développant au fil du temps des anticorps contre les maladies répandues dans la cité. Il rappelle aussi que la concurrence entre bandes rivales pour s'accaparer les surplus des cités devait être à la source de nombreuses guerres.

En somme, même si l'ouvrage de James C. Scott reprend des données bien connues des spécialistes et n'apporte pas de théories nouvelles par rapport à ses précédents travaux, sa grande clarté et sa volonté d'exhaustivité en font une excellente entrée dans l'oeuvre de son auteur et, plus largement, dans la problématique de l'émergence des États. Si l'on peut partager les critiques déjà connues sur l'aspect trop dichotomique de la distinction entre les sociétés à État et les sociétés sans État, qui a le défaut d'exclure les autres formes de gouvernance telles que les systèmes lignagers et les chefferies, cela n'enlève rien à la richesse de la réflexion de l'auteur et à sa salutaire remise en question du « récit civilisationnel », trop peu interrogé.


Commenter  J’apprécie          30
Un livre qui bouleverse les idées reçues. Celles du « grand récit », d'abord, qui voudrait voir un progrès manifeste dans l'évolution de la condition de sapiens, de chasseur-cueilleur à agriculteur-sédentaire, de barbare à civilisé, vivant dans des États de plus en plus grands et de mieux en mieux organisés. S'y superpose une idée reçue chère à de nombreux français : l'État, par-delà les divergences politiques, aurait été un acteur indispensable pour canaliser la violence et oeuvrer à l'amélioration du bien-être de la majorité. Contre ces idées reçues, James C. Scott propose une lecture anarchiste des grandes transformations du néolithique que j'ai trouvé convaincante (sachant que je ne suis tout à fait béotien en la matière).
Juste une remarque : la préface de Jean-Paul Demoule est très claire mais elle donne un résumé presque trop précis du livre. Et comme l'introduction de Scott constitue à nouveau un résumé de sa pensée, on en sait presque un peu trop avant de débuter le premier chapitre.
Commenter  J’apprécie          36
ouf ! lecture un peu laborieuse pour moi ... j'aurais aimé quelque chose de plus construit et de plus pédagogique. Les suppositions et les probabilités compréhensibles mais trop fréquentes m'ont dérouté, ainsi que le caractère "conférences" et non pas démonstration. Peut-être que mon coté ignare dans ce domaine n'a pas aidé à voir la pointe subtile de l'argumentation. Je comprends bien que l'histoire ayant été écrite par les vainqueurs et les organisations étatiques maitrisant justement l'écriture (développée en premier lieu pour comptabiliser et recenser), cela ne tient pas compte de ce qui n'était pas contenu par ces états (ce qui n'était pas organisé autour de l'agriculture intensive), mais cela ne m'aide pas beaucoup à avoir une vision plus judicieuse sur ces millénaires décrits. Ceux qui ont lu le livre me comprendront peut-être.
Commenter  J’apprécie          40
Un regard anarchiste sur l'histoire ancienne. Je suis désolé de le dire, mais le sous-titre de ce livre est complètement faux : il ne s'agit pas du tout d'une histoire profonde des premiers États, mais d'une lecture idéologique très sélective d'un segment très limité de l'histoire. James C. Scott (° 1936) est un politologue estimé qui est surtout connu pour ses analyses pointues des côtés négatifs des formes de gouvernement centralistes et dirigistes, en particulier les États. D'où sa réputation d'« anarchiste ». Bon, je ne vais pas nier que l'anarchisme en tant qu'outil de théorie et d'analyse a définitivement ses côtés attrayants. Mais lorsque vous projetez une vision qui a été développée au 19ème siècle dans un passé lointain, vous courez de grands risques. Et c'est exactement ce qui se passe dans ce livre.

Scott est déterminé à prouver que les premiers États n'étaient pas bons et qu'ils n'étaient pas du tout attrayants. Pour cela, il prend comme point de référence un certain nombre d'études sur la civilisation mésopotamienne méridionale. Je ne vais pas prétendre que tout ce qu'il dit est un non-sens, mais il est très sélectif, proposant des déclarations qui sont empiriquement discutables. Il prétend, par exemple, que les gens fuyaient constamment les premières villes et États, essayant de regagner leur liberté dans la « barbarie » non étatique. Il soutient également à plusieurs reprises que l'archéologie classique présente une image complètement dépassée des développements avant et pendant le néolithique ; son livre est plein de rebondissements tels que 'contrairement à'. Mais c'est un pur non-sens, car l'archéologie déjà depuis des décennies a laissé derrière elle la période de Gordon Childe, avec sa glorification de la « révolution néolithique ».

De plus, ce que Scott ne parvient pas du tout à expliquer, c'est pourquoi les sociétés agraires sédentaires, si elles étaient si malsaines et mal aimées, ont de toute façon percé. Son argument le plus fort est qu'il a fallu au moins 4 millénaires entre le début de l'agriculture et l'apparition des premiers États réels, suggérant que ce n'est que lorsque l'agriculture a produit un excédent suffisant, qu'une administration de l'État pourrait être développée qui pourrait lier de force les habitants. Et dans ce processus, le grain – sous toutes ses formes – a joué un rôle très important. Donc, ce livre ne me convainc pas vraiment, mais en même temps je dois admettre que Scott propose régulièrement des thèses qui nous font réfléchir sur notre vision actuelle du développement humain. D'où mon appréciation mixte. Voire aussi ma critique sur mon profil historique sur Goodreads: https://www.goodreads.com/review/show/2297593346.
Commenter  J’apprécie          15
Excellent livre, bien documenté et qui interroge de manière percutante nos croyances sur l'histoire de notre espèce, ses choix pour la sédentarisation, l'agriculture...
Un livre qui peut paraître long mais qui reste accessible tout en développant des sujets académies profonds.
Commenter  J’apprécie          00




Lecteurs (428) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3200 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *}