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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
C'est le troisième récit que je lis de W. G. Sebald parmi les quatre grands livres qu'il a eu le temps d'écrire avant de mourir à 57 ans. C'est un écrivain de l'imprégnation mélancolique, son écriture ressemble à la pluie qui tomberait sur des fleurs séchées pour les ranimer une dernière fois. Avec lui, la vie ressemble à un lent dégradé de couleurs, de formes, de mouvements, qui ralentissent jusqu'à se figer.
Dès qu'il commence à lire Sebald, l'esprit du lecteur entre dans une phase méditative, il s'applique à choisir ses mots et les faire peser. le regard sur le monde qui nous entoure devient différent, plus lent, plus profond, la pensée va au rythme de la phrase sebaldienne. Nous devenons personnage du livre nous-même.
Le personnage sebaldien est souvent un universitaire qui narre l'histoire de ses voyages. C'est un autre lui-même que W.G.Sebald met en scène. Les personnages qu'il nous présente ont-ils existé ? Mickaël Parkinson, cet homme de peu de besoin, qui travaille sur Ramuz et meurt mystérieusement dans son lit. Et sa collègue romaniste qui parle si bien des scrupules de Flaubert...Elle vit dans un appartement où se développe un univers de papier et elle ne se serait pas remise de ce décès. Michael Farrar, cinquante pages plus loin, a créé un des plus beaux jardins de la région avec sa prédilection pour les rosiers, les iris et les viola rares. Une phrase décrit l'évènement qui cause sa mort. Un simple accident domestique devient une vision ardente.
Entre temps, le narrateur aura cherché un crâne dans un musée secret de l'hôpital.
Nous aurons droit à une analyse du tableau de Rembrandt présentant une autopsie de Aris Kindt, nous saurons désormais que le médecin qui opérait devant la bonne société qui avait payé sa place se nommait Tulp. Puis l'auteur nous raconte son voyage raté à La Haye pour voir ce tableau comme si celui-ci portait malheur.
Nous serons descendus vers la côte dans un autorail en roue libre, et nous aurons visité la Seigneurie de Somerleyton, ses enfilades de pièces, et arpenté les rues de Lowestoft, qui porte les stigmates de la crise économique. Ce genre de description nous rappelle d'autres livres de Sebald, d'autres zones décrépites dont la désolation fait le bonheur de l'écrivain. Quand on lit Sebald, on s'attend presque à croiser la silhouette de Edgar Allan Poe ou à voir Lovecraft écarter le rideau et jeter un regard soupçonneux dans la rue . Et pourtant, tout se déroule dans un contexte réaliste, les petites histoires des gens se mêlant au passé et à la grande histoire, la politique (la baronne Tatcher) comme l'économie. le temps est comprimé sur une dizaine de pages extraordinaires à propos du développement et la fin de l'industrie du vers à soie dans le monde, de la Chine à l'Angleterre. le motif du vers à soie illustre les différentes étapes de la vie et de l'éternité de l'âme.
Les réflexions de Sebald sont une analyse minutieuse des événements des deux derniers siècles, tandis qu'il construit, en même temps, un arc de longue durée historique remontant au commencement de ce qui évolue pour devenir un système capitaliste global.
Le narrateur semble hanté par des personnages historiques comme si il revivait leur vie. Qui connaît Gavrilo Princip qui change le destin du monde en tirant un coup de feu lourd de conséquence à Sarajevo le 28 juin 1914 ? Et Roger Casement qui s'engage contre l'exploitation brutale dont sont victimes les noirs congolais, et qui paiera cher ses désirs d'engagement.
Des écrivains aussi, comme Konrad Korzeniowski, qui deviendra connu sous un autre nom, et qui aura vu des ses yeux l'ignominie du colonialisme. Et faire revivre l'amour De Chateaubriand pour sa jeune américaine au point de confondre son style avec celui de l'auteur. On ne sait plus qui parle, qui écrit.
Sebald poursuit son voyage sur une côte dont les falaises s'effondrent, les villages disparaissent dans la mer.
« Dunwich avec ses tours et ses milliers d'âmes s'est dissous dans l'eau, transformé en sable, en gravier, évaporé dans l'air léger. »
ou sont abandonnés comme l'isolement total sur ce môle avancé :
«... il me sembla que je traversais un pays inexploré ...au-milieu des vestiges de notre propre civilisation anéantie au cours d'une catastrophe future...»
Lien : http://killing-ego.blogspot...
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« J'ai passé mon enfance et ma jeunesse dans une contrée des Alpes
septentrionales en grande partie épargnée par les effets immédiats de ce
que l'on nomme hostilités. À la fin de la guerre, j'avais tout juste un an et
je ne saurais avoir gardé de cette époque de la destruction des impressions
fondées sur des événements réels. Et pourtant, aujourd'hui encore, quand
je regarde des photographies ou des films documentaires datant de la
guerre, il me semble que c'est de là que je viens, pour ainsi dire, et que
tombe sur moi, venue de là-bas, venue de cette ère d'atrocités que je n'ai
pas vécue, une ombre à laquelle je n'arriverai jamais à me soustraire tout à fait » écrivait W.G Sebald dans « de la destruction comme élément de l'histoire naturelle » regard perdu de l'émigré qui a quitté l'Allemagne pour l'Angleterre en 1966.
Est-ce là la source de la mélancolie qui règne dans les textes de Sebald et donc probablement, dans son esprit ?
Au départ, une simple randonnée à pied dans le comté de Suffolk. W.G.Sebald vagabonde à travers les cotes désertes, petites villes et villages. Il se perd dans le labyrinthe de jardins abandonnés. Il vagabonde également au travers certains souvenirs de sa propre vie. L'occasion de retracer la mémoire de ces lieux de la côte est de l'Angleterre mais aussi d'autres contrées du Monde à travers l'épaisseur du temps.
Avec un art de la transition stupéfiant, on passe de la Chine du XIXe siècle, dans le palais de l'impératrice Cixi, la révolte des Taiping, le flop économique que constitua l'introduction de la culture de « l'oiseau » à soie en Europe, la phosphorescence post mortem du hareng. On entend les canons des navires hollandais détruire la flotte anglaise à la bataille de Sole Baye, les forteresses volantes gronder dans le ciel du soir pour aller bombarder les villes allemandes, les amours avortées De Chateaubriand en Grande-Bretagne, la Leçon d'anatomie de Rembrandt. le hasard d'une émission de la BBC enclenche le souvenir de l'irlandais Roger Casement, critique virulent des intérêts du roi Léopold au Congo, et finalement exécuté comme dangereux terroriste irlandais et d'autres personnages moins connus, émigrés ballottés au gré du monde. A la fin de son périple, l'auteur va rendre visite à un ami qui, depuis des années, construit une immense maquette du temple de Jérusalem.
Sensible aux couleurs et aux mouvements, Sebald déroule ses phrases avec simplicité. Comme la méditation d'un « promeneur solitaire », il y a là une magie qui nous fait traverser les endroits que l'on a plutôt l'habitude de longer.
Dessins, documents, cartes et photos parsèment ce livre qui, ramenant vers ce qui est plus réel, évitent la pure rêverie. Comme un balancement entre rêverie et réflexions.
Mais tout cela n'est pas qu'érudition retracée avec lyrisme.
Car peu à peu, dans une impossible simultanéité nous avons devant nous la vision d'un monde d'une beauté triste: un monde de ruines, d'éternelle destruction où le souvenir est important car il permet de survivre.
Mais c'est une mélancolie sans pleurs ni larmes, car la nature aussi détruit
Il ne faut pas y chercher une quelconque condamnation de notre existence ou un plaidoyer écologiste: la destruction faisant partie « d'un état naturel »
Vous avez compris que ce livre est vraiment éblouissant et d'une richesse indescriptible.
Je suis de ceux qui croient que seule la poésie permet d'exprimer notre « vision » de la vie, aussi je m'en vais, de ce pas, chercher et lire l'unique livre de Sebald qu'il présente comme poésie : « D'après nature, poème élémentaire »


Ps factuel : ce livre a été écrit en allemand, les phrases écrites en anglais n'ont pas été traduites en français


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Voyage à partir du Norfolk en longue coulée, dans ce que lui disent ces paysages ou ce qu'il rêve à partir d'eux - pans de vies, corps d'idées - rebondissant de ces visions assez désolées, ou de ces paysages mourrants à d'autres, de personnages en personnages, échos secrétés par, et nourriture des lieux, éléments constituant par touches une philosophie.
Et c'est par eux que je me retrace ce trajet, ne gardant le corps du livre, sa saveur, que dans les souvenirs qu'ils amènent pour moi et qui doit être découvert en lisant.
Michael Parkinson « l‘un des hommes les plus innocents qu‘il m‘ait été donné de rencontrer », son manque de besoin, l'étude de Ramuz
Thomas Browne - les dissections, la leçon d'anatomie de Rembrandt - l'état flottant d'un opéré - l'érudition et le quinconce retrouvé partout et « dans le jardin du roi Salomon, dans l'ordonnance des lys blancs et des grenadiers qui y sont alignés au cordeau »… - les sépultures, la crémation
Hazel, le jardinier de Someleyton et la guerre aérienne
Les pécheurs de harengs et le dépeuplement des océans, ou leur empoisonnement
Bioy Caséres, les miroirs - son exemplaie de l'Anglo American Cyclopedia. - à l'existence incertaine
Johan Mauritz, les fortunes faites par les négociants au siècle d'or, et l'exploitation du Brésil
Les croates, Banja Luka et le traitement infligé aux serbes
Roger Casement, son histoire reconstituée ou rêvée, le Congo, Conrad, le jugement de ce dernier sur l'horreur de cette colonisation, et son histoire quand il était Jozef Teodor Konrad Korzeniowski, Cracovie, l'Ukraine, le traineau et l'oncle Tadeuz (et ces pages sont admirables)
L'empereur Xianlong, les compagnies occidentales, l'opium, l'impératrice Cixi, la sècheresse de 1878, et l'amour de l'impératrice pour les vers à soie - « ces créatures pâles, presque transparentes,qui délaisseraient bientôt leur vie au profit du fil ténu qu'elles tissaient, lui apparaissaient comme ses véritables fidèles. Elle voyait en eux le peuple idéal, zélé…. » - ses adieux à la vie et à l'empire, et les théories sur le temps humain.
Algerson Swinburne, ses excursions à Dunwich, sa fuite des salons préraphaléiques - « l'autodissolution progressive de la vie » - la mer qui gagne et le déplacement de la petite ville
Délaissant les personnages : « toute la civilisation humaine n'a jamais été rien d'autre qu'un phénomène d'ignition plus intense d ‘une heure à l'autre »
Une lande, le rêve d'un clair labyrinthe et Michael Hamburger et les souvenirs de sa jeunesse berlinoise (de leur)
Edward FitzGerald, la ruine des propriétaires irlandais - la chasse qui prend possession de la campagne et la superbe visite halucinée aux terrains qui ont servi à la recherche d'armes secrètes
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Epoustouflant. Ce récit est proprement inclassable mais se lit avec beaucoup d'intérêt. Tout en apparentes digressions qui finissent par former un réseau de sens et de sujets, la base en est une randonnée de quelques jours faite par Sebald le long de la côte sud-est de l'angleterre vers 1990. A partir de là, ce récit extrêmement érudit, profondément marqué par la fugacité de toute chose, l'histoire, la mort, évolue vers des considérations universelles, dont on ne peut que ressentir la vérité. Et évidemment, en plus, c'est superbement écrit (et traduit de l'allemand).
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On dit que Sebald est un auteur difficile. Sans doute, mais son écriture par fragments qui coule comme un long fleuve tranquille me convient parfaitement, moi qui n'ai pas le temps de lire, débordée par mes obligations maternelles. En apparence décousus, les petits récits de Sebald s'enchainent au fil de la marche du narrateur, pour finalement constituer une trame particulièrement travaillée, avec ses temps forts (la partie VII notamment), ses digressions qui ne surviennent jamais au hasard, et ses illustrations qui forment une ponctuation originale.
Bel objet, je regrette simplement que certaines citations n'aient pas été traduites en note: si je comprends sans peine l'anglais, celles en néerlandais m'ont donné plus de peine... Un choix de l'auteur peut-être? (ça va pas arranger sa réputation en tout cas -_-)
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Un second contact en forme de confirmation avec l'oeuvre de Sebald, qui signe ici une oeuvre somme, foisonnante et étourdissante. Rembrandt, Chateaubriand, Conrad, l'histoire troublée des Balkans et bien d'autres trésors sont convoqués à un fascinant kaléidoscope qui laisse le lecteur pantois par son érudition, sa réflexion et sa profondeur générosité. J'ai souvent conseillé ici quelques auteurs, mais je souhaite ardemment, au regard du bonheur ressenti, vous faire découvrir cet auteur et sa prose, tout simplement parce que son oeuvre est basée sur le partage et qu'il est bon de transmettre ce qui vous a un jour ému.
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Les anneaux de Saturne est une succession de pages superbes, animées d'une authentique curiosité pour tout, cette curiosité communicative qui peut transformer n'importe quel sujet en histoire intéressante, pour peu que l'on ait les mêmes talents de conteur que Sebald. En promeneur il sillonne les landes, les lieux souvent décatis, son regard chargé d'empathie à l'affût des signaux que ces décors envoient depuis d'autres époques ou d'autres horizons. Souvent ce signal se réduit à trois fois rien, un simple détail que seul le curieux de sa trempe aura envie de creuser : une peinture écaillée dévoilant une inscription qui avait disparu sous des coups de pinceaux donnés 100 ans en arrière, le relief curieusement découpé d'un littoral, un parc banal en apparence, etc. Lui y perçoit quelque chose, et à l'acuité des sens succède l'acuité de la plume pour le mettre en mots.
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Un chef-d'oeuvre absolu : que dire de plus?
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Pour moi,c'est le plus grand écrivain du XX siècle !
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