Nous voyons le monde à peu près comme les paysans l'ont vu pendant des millénaires. Ils ont toujours déclaré que les montagnes étaient hautes et que l'empereur était loin, signifiant par là que les intrigues de la cour et les menaces impériales n'avaient pas le moindre effet sur leur vie. Ils ont toujours agi comme s' ils pouvaient faire ce que bon leur semblait sans en redouter les conséquences.
Les seules consolations de mon beau-père au cours de ces derniers mois, tandis que le cancer ronge ses poumons, sont les photos que je découpe dans le magazine et épingle sur le mur, à côté de sa chaise longue. Je le surprends bien des fois le visage en larmes, contemplant ces images du pays qu’il a quitté dans sa jeunesse : les montagnes sacrées, le Grande Muraille, la Cité interdite … . Il a beau dire qu’il déteste les communistes, puisque c’est ce qu’on attend de lui, il porte toujours au fond de lui l’amour de son pays, de l’art, de la culture et du peuple de Chine.
On prétend que le pire, quand on est victime d'une explosion, ce sont les quelques secondes de silence et de paralysie complète qui succèdent au choc initial. On dirait alors - et je crois que l'expression est utilisée dans toutes les langues - que le temps s'est immobilisée. C'est ce qui se passe pour moi. Je me suis figée sur place alors que la fumée et la poussière des gravats s'élèvent lentement.
May et moi devons cocher les cases certifiant que nous n'avons jamais été en prison, dans un hospice ou un asile d'aliénés, que nous ne sommes pas alcooliques, anarchistes, mendiantes professionnelles, prostituées, simple d'esprit, épileptiques, tuberculeuses, illétrées et que nous ne souffrons pas d'insuffisance psychopatiques (quoique puisse signifier ce terme).
En prononçant ces mots, je me souviens du proverbe qui prétend que les catastrophes, comme les maladies, se transmettent oralement - ce qui signifie
que certaines paroles peuvent se révéler aussi destructrices que des bombes.
On nous répète sans arrêt que les histoires des femmes sont sans importance. Qui se soucie, après tout, de ce qui se passe dans les cuisines, les salons ou les chambres à coucher ? Des relations entre les mères, les filles et les sœurs ? La maladie d'un enfant, les tristesses et les douleurs de l'accouchement, l'énergie qu'il faut déployer pour sauver sa famille lorsque la guerre ou la misère font rage - et même en temps normal - sont considérées comme insignifiantes, comparées aux hauts faits des hommes qui se battent contre la nature pour faire pousser les récoltes, engagent des luttes interminables pour défendre leur patrie ou luttent intérieurement à la recherche de la perfection. On nous dit que les hommes sont forts et courageux, mais je crois pour ma part que les femmes savent davantage accepter la défaite et supporter la souffrance, aussi bien physique que morale.
Quand on ne possède pas grand chose, il n’est pas difficile de se priver davantage.
Aucun chargement n'est léger quand on doit le porter des milliers de pas
"Il n'y a pas de catastrophe en dehors de la mort, on ne peut pas être plus pauvre qu'un mendiant."
En prononçant ces mots, je me souviens du proverbe qui prétend que les catastrophes, comme les maladies, se transmettent oralement - ce qui signifie que certaines paroles peuvent se révéler aussi destructrices que les bombes.