La guerre ne produit que des cadavres.
page 232.
C'est ça l'enfance: terroriser les hommes et les femmes qu'ils ont été, les anéantir jusqu'à ce s'oublient eux-mêmes. Souvent je me demande pourquoi je n'ai pas posé les bonnes questions à mon père. Peut-être parce que j'avais peur des réponses, peur qu'il ne soit pas l'homme remarquable que je croyais qu'il était et qu'il ne soit tout à fait ordinaire. C'est monstrueux comme l'enfance déforme tout ce qui l'entoure. Quand on est enfant on a tellement besoin d'être impressionné pour être rassuré. Si on ne les voit pas plus grands et plus beaux et plus forts qu'ils ne sont, on ne peut pas croire qu'ils pourront nous protéger. Peut-être même qu'on ne peut pas croire qu'ils sont réellement nos parents.
page 224.
Le plus effrayant était que je prenais réellement conscience qu'il y eut un temps long, infini,où je n'existais pas. Comprendre qu'il y a eu un temps où l'on n'a pas existé, c'est comprendre qu'il y aura un temps où nous n'existerons plus. Ou je n'existerai plus.
page 170.
Mariette qui n'a jamais été molle sait qu'il faut économiser ses larmes de la même façon que ses sous ou les tissus de ses parapluies dans la façon de les couper. Tout coûte. Tout se comptabilise, même la douleur. Ce n'est pas pour rien que le mot "penser" se dit aussi en patois "calcular". Qu'est-ce que tu fais? Je calcule. Entendez: "je pense." Penser ne nécessite pas de savoir lire et écrire. Faut juste avoir un peu vécu. Beaucoup c'est encore mieux. Rien ne vaut les expériences.
page 109.
Quand on croit que les choses ne vont pas durer, c'est qu'on a rien quitté vraiment, on s'est juste absenté de ce qu'on connaît de sa vie. Pas grand-chose en vérité. Facile d'imaginer le retour.
pages 98-99.