Pundeworld, tome 1

Comédie humaine adolescente
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Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il a été entièrement réalisé par Linda Sejic, avec l'assistance de Katarina Devic pour les couleurs. La première édition date de 2021. Il s'agit d'une version personnelle sur la relation amoureuse mythologique entre Perséphone, fille de Zeus et de Déméter, avec Hadès, frère de Zeus et de Poséidon.

Son nom est Hadès. Il est le maître du royaume sous terre, le gardien des âmes, le nourrisseur de l'après-vie. Et contrairement à ce que les mortels croient, il n'est pas le dieu de la mort. Sa responsabilité n'est pas de prendre les vies, simplement d'en rendre compte. Assigner chaque âme à sa place légitime. La plupart du temps, les âmes peuvent lui dire ce qui leur est arrivé, tout simplement. Mais il y a toujours de rares exceptions. Ce jour-là, Hadès se rend à l'accueil des âmes avec sa liste sous le bras. Il croise Thanatos et lui demande si les noms portés sur la liste lui sont destinés : la réponse est négative. Thanatos lui demande s'il a pensé à poser la question aux Moires. Il l'a fait et leur réponse s'est avérée cryptique comme à leur habitude. Hadès s'assoit à son bureau et procède à l'accueil de ces âmes égarées. le premier lui explique qu'il était sur son bateau quand il a entendu une voix magnifique et puis il s'est retrouvé là. Hadès en déduit que c'étaient des sirènes, des créatures de Poséidon, et il se demande comment il en est arrivé là. Peu importe, il indique que c'est la deuxième porte sur la gauche pour cet homme. Suivant. C'est tout un groupe qui s'avance et qui énonce d'une seule voix : ils n'ont aucun souvenir de la manière dont ils sont arrivés là. C'est un jour comme ça, et comme il n'y a pas de réponse, il ne reste qu'une seule solution : se rendre en surface. Hadès appelle son sceptre. Il en frappe le sol : un escalier lumineux apparaît et il monte ainsi jusqu'au Mont Olympe.

Au bout de quelques instants, Hadès se rend compte qu'il y a plus d'animation que d'habitude. Il se dirige vers Zeus qui essayait d'attirer l'attention d'une jeune divinité secondaire. Il avise Hadès et le hèle, trop heureux que celui-ci soit venu. Il lui tend un gobelet de vin, mais Hadès décline. Son hôte a compris : il est venu pour le travail. Hadès déroule sa liste et commence à expliquer son problème. Zeus l'arrête rapidement et lui demande de prêter attention à l'ambiance autour de lui. C'est une fête, pas une réunion de travail. Hadès répond que plus tôt il aura sa réponse, plus tôt il débarrassera le plancher. Zeus ne se laisse pas faire et invoque les lois de Xenia, c'est-à-dire les lois de l'hospitalité. Hadès n'a d'autre choix que de les énoncer, en particulier que l'invité ne doit pas être un fardeau. Ainsi rappelé à l'ordre, il se voit dans l'obligation d'accepter un verre, et d'aller papoter avec Zeus. Ce dernier explicite l'occasion de cette fête : Artémis vient d'obtenir son premier temple. Un peu sous l'effet de l'alcool, Hadès demande si Héra accepte facilement d'organiser une fête sous son toit, pour le fruit des amours illégitimes de son mari avec Leto.

Linda Sejic a déjà une autre série à son actif : Blood Stain, une variation romantique à l'eau de rose sur l'amour entre un chercheur et son assistante. En feuilletant rapidement le présent ouvrage, le lecteur retrouve une apparence visuelle assez proche de celle de son époux Stjepan Sejic, en un peu plus douce, et comprend qu'il s'agit d'une version à l'eau de rose du mythe de Perséphone et Hadès. Pourquoi pas ? Malgré ses responsabilités, Hadès semble être un bonnet de nuit, travailleur, peu sociable, embarqué dans un amour platonique dont il ne sait comment s'y prendre pour franchir une étape afin de le rendre plus concret, en commençant par faire une déclaration. L'artiste a pris le parti d'adopter quelques codes shojo, mais avec un rendu en couleurs, sophistiqué à l'infographie. du coup, Hadès a l'apparence d'un jeune homme élancé, avec un visage expressif, une belle longue robe noire, des cheveux longs, et une couronne à demi dissimulée sous les cheveux. Il est immédiatement sympathique par son sérieux et son refus de s'en laisser conter par Zeus. En face, Perséphone donne l'impression d'une toute jeune femme, même si elle plus de 500 ans, avec des attitudes d'adolescente. Zeus semble être un trentenaire à l'attitude décontractée et joviale, un bon vivant assumant très bien ses frasques et plein d'entrain à l'idée de pouvoir aider Hadès à conclure.

Sous réserve qu'il ne soit pas allergique à une version un peu adolescente et fleur bleue de la mythologie, le lecteur se retrouve de bonne humeur dans cette comédie de situation légère et amusante. L'autrice ne se prend pas au sérieux, n'a pas l'intention de proposer une mise en scène des amours de Perséphone et Hadès qui ferait date dans l'histoire de l'exégèse de ce mythe. Les personnages sont mignons et charmants. le lecteur comprend très bien ces hésitations dans les élans du coeur. La narration visuelle est très agréable à l'oeil. le récit suit la trame du mythe, avec cette touche personnelle romantique et fleur bleue. Il retrouve les situations conventionnelles d'une comédie de situation : l'amoureux pas sûr de lui malgré sa stature de dieu de premier plan, la jeune fille harassée de responsabilités, qui jalouse sa meilleure copine qui semble jouir d'une liberté extraordinaire, sans fil à la patte, le bon copain prêt à aider son pote coincé, la mère de la jeune fille, sévère et stricte non sans raison, les circonstances extraordinaires de la rencontre qui rapproche les deux amoureux.

La narration visuelle et dialoguée est épatante d'évidence : les pages se tournent toutes seules, avec des visuels agréables et souvent spectaculaires. Linda Sejic met en oeuvre une direction d'acteurs naturaliste, en accentuant les expressions des visages, ce qui augmente le phénomène d'empathie chez le lecteur qui ressent les émotions de chaque personnage avec plus d'intensité, ainsi que leur état d'esprit. Impossible de ne pas soupirer avec Hadès quand il comprend que Zeus ne répondra à aucune question professionnelle. Impossible de résister à l'attitude enjouée de Zeus, à sa frivolité. le lecteur se sent un peu coupable du fait de la conviction avec laquelle Déméter rappelle les responsabilités de sa fille. Il est tout aussi révolté que Perséphone par l'image que sa mère se fait d'Artémis, comme une divinité sérieuse, alors qu'elle jouit d'une liberté que lui envie Perséphone. le personnage de Charon réserve également des surprises amusantes. L'autrice raconte une comédie légère, un peu adolescente, et s'amuse bien avec les réactions des personnages, mais aussi avec certaines situations cocasses, et souvent spectaculaires.

Linda Sejic n'a pas suivi son mari dans la voie de l'allègement des cases et elle joue avec élégance des possibilités de l'infographie pour réaliser une narration visuelle sophistiquée, adaptée à chaque séquence, et chaque situation, sans aller à l'économie. Elle a conçu un rendu qui fait parfois penser à la peinture. Elle utilise les camaïeux pour installer et développer une ambiance, sans en abuser pour juste remplir les fonds de case. Au fil des scènes, le lecteur apprécie les ténèbres du monde souterrain, qui semblent receler des paysages mangés par l'ombre, la voute céleste lumineuse au-dessus du Mont Olympe, la luminosité du palais de Zeus, la verdure de la demeure de Perséphone, la noirceur des eaux du Styx, etc. Il constate vite que l'autrice a passé du temps à imaginer chaque lieu : la décoration du palais de Zeus pour la fête, les éléments végétaux de la demeure de Déméter, la manifestation des pouvoirs de Perséphone, le véritable dédale du monde souterrain, etc. Au fur et à mesure, il ralentit souvent sa lecture pour s'attarder sur les détails : le meuble servant de bureau à Hadès, les urnes décoratives du palais de Zeus, le paon géant de Héra, les urnes de graines chez Déméter, les différentes fleurs présentes tout du long du récit, les flèches de cupidon fichées dans le corps d'Hadès, la forme des couronnes des dieux de premier plan, le chariot laissé en cadeau surprise par Hermès, les formes de Charon, etc.

L'artiste n'oublie pas qu'il s'agit de dieux et qu'ils disposent de pouvoirs spectaculaires. le lecteur se retrouve à monter ces marches lumineuses, à découvrir la version de plusieurs dieux (outre ceux déjà cités, Hestia, Athéna, Hécate, alors que Zeus essaye de deviner de qui Hadès peut bien être amoureux, Éos), la croissance instantanée de ronces quand Perséphone éprouve de la colère, les âmes qui arrivent sur le rivage du Styx, Hermès se déplaçant en semblant courir sur l'air, Hélios conduisant son char, l'une des gigantesques ailes du char d'Hermès prenant feu, etc. Comme pour les personnages, il s'agit de paysages ou d'événements dessinés avec douceur, sans une once de fibre horrifique, juste pour le plaisir des yeux.

Les amours de Perséphone et Hadès sous forme d'une bluette de sitcom ? Pas forcément enthousiasmant présenté comme ça. À la lecture, l'impression est toute autre. Linda Sejic réalise une narration visuelle vivante et touchante, avec une bonne humeur communicative. Elle joue à fond la transposition du mythe revu avec les conventions d'une comédie romantique adolescente et ça fonctionne très bien.
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