Ce tome est le premier d'une série dérivée de la série Chew de
Rob Guillory &
John Layman qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu. Il regroupe les 1 à 5 de la série, initialement parus en 2020, écrits et lettrés par
John Layman, dessinés et encrés par
Dan Boultwood. Il contient également les 5 couvertures originales de Boultwood, ainsi qu'une couverture variante du même artiste, et 5 couvertures variantes de Guillory.
Monsieur Boss a réuni son équipe de six personnes en face de lui dans son bureau. Monsieur Baker apporte un gâteau qui a la forme du bâtiment dans lequel ils doivent s'introduire. Il leur suggère de commencer à manger, tout en observant l'immeuble pour en repérer les points d'accès, les entrées et les sorties, les voies de fuite, et les meilleurs endroits pour se placer avec un fusil à lunette. Monsieur Cooke arrive avec les différents plats. Saffron Chu conseille à Eddie Molay de manger beaucoup de salade. Monsieur Boss présente les uns aux autres : monsieur Knife le voleur, monsieur Gun le tireur d'élite, Miss Strong pour les muscles, monsieur Getaway le chauffeur, monsieur Lock (Eddie) un voleur, et madame Smart (Saffron) pour la reconnaissance. Monsieur Boss continue en expliquant que Smart est parvenue à savoir où le don Digiorno Bacatini entrepose ses gains illégaux, les horaires des rondes, et de la relève des hommes de main. L'opération va commencer par monsieur Gun prenant place sur le toit d'un immeuble voisin pour détruire le boîtier électrique du système de surveillance en tirant dessus. le reste de l'équipe attend dans une camionnette située à proximité.
Au moment convenu, monsieur Gun atteint sa cible, et les quatre autres s'avancent vers les portes de l'immeuble. Malgré une digestion un peu difficile, madame Strong parvient à briser les chaînes qui se trouvent sur la porte d'entrée. En revanche monsieur Gun s'évanouit dans son vomi, un truc qui ne passe pas. Manque de bol, l'équipe de convoyeurs du don revient parce que l'un d'eux ne se sent pas bien, un plat qui ne passe pas. Il s'en suit un échange de coups de feu qui alertent les gardes dans l'immeuble. le crâne de madame Strong éclate, traversé par une balle de fusil. Monsieur Knife prend une balle dans la jambe. Saffron et Eddie parviennent à s'enfuir en courant. Peu de temps plus tard, les policiers en uniforme sont sur place. Ils sont rejoints par deux inspecteurs de police : Celia Bosco et son partenaire Tony Chu. Ce dernier goûte le sang de madame Strong car c'est un cibopathe, mais il ne capte aucun de ses souvenirs, car elle avait mangé de la betterave. Un autre inspecteur arrive sur place, faisant preuve d'une grossièreté insultante : John Colby. Chu le prend immédiatement en grippe. Celia lui rappelle qu'il doit se rendre au dîner de famille des Chu. Dans la banlieue résidentielle abritant le pavillon de Rosemary Shu-Chen, Eddie a garé sa voiture et il discute avec Saffron de ce qu'ils peuvent faire pour se tirer de cette situation.
Impossible de faire semblant d'ignorer qu'il s'agit d'une série dérivée de Chew (55 épisodes, 11 tomes), réalisée par le même scénariste et par
Rob Guillory pour les dessins. Par la suite, ce dernier a réalisé une extraordinaire série en auteur complet : Farmhand. S'il a lu la série Chew, le lecteur craint le réchauffé et l'ersatz faute de la participation de son artiste originel. S'il n'a pas lu la série Chew, il craint d'être perdu avec des références absconses. le scénariste a pris le parti de centrer cette nouvelle série sur un autre personnage : Saffron Chew, membre de la même famille que Tony, avec une soeur jumelle appelée Sage Chew. Pour autant, l'histoire de Saffron est très différente de celle de son illustre frère policier, car elle a embrassé une carrière criminelle. Effectivement, elle croise son frère à plusieurs reprises au cours de ce premier tome, en particulier au dîner de famille hebdomadaire, au cours duquel la maman Rosemary réunit la plupart de ses enfants : Tony, Tang, Chow, et bien Saffron, Toni et Harold étant absents. L'auteur fait le nécessaire pour présenter chacun de ces personnages comme si c'était la première fois qu'ils apparaissaient dans une histoire : du coup le lecteur novice n'éprouve pas la sensation qu'il lui manque quelque chose, et le lecteur enamouré de Chew peut choisir entre Il s'agit d'une version un peu différente et donc autonome, ou Il s'agit des mêmes personnages dans une histoire se déroulant en parallèle.
Le fait que cette série soit dessinée par un autre artiste renforce l'impression d'autonomie, ou de version différente, évitant la sensation d'histoire qui viendrait diminuer l'impact de la série originelle.
Dan Boultwood a conservé plusieurs caractéristiques visuelles du registre graphique très personnel de
Rob Guillory. Il représente les personnages et les décors avec un degré de simplification marqué, parfois avec une forme de désinvolture, prenant des libertés avec l'anatomie (les épaules trop larges de Colby, la taille, trop fine de Saffron, des bras d'une épaisseur d'allumette), les décors souvent schématiques et simplistes. Il n'hésite pas à exagérer les expressions de visage, les postures, à ajouter des effets sonores avec une touche de dérision, à passer en mode impressionniste en quittant le domaine descriptif pour des effets comiques et sales (la quantité de vomi). Il utilise une palette de couleurs un peu moins vives que celle de Guillory, mais avec des nuances similaires, à commencer par le taupe et le mauve. le lecteur n'a donc pas la sensation d'un plagiat sans inspiration des caractéristiques visuelles de la série originelle, tout en en conservant une partie de l'ambiance initiale.
Dan Boultwood n'est pas
Rob Guillory et ses dessins ne dégagent pas son entrain communicatif. Il semble également un peu plus influencé par une sensibilité manga, par endroit, sans que cela ne soit systématique. Il sait donner une apparence unique à chaque personnage, le rendant aisément reconnaissable. Il manie l'exagération anatomique avec pertinence, que ce soit pour l'expressivité juvénile de Saffron, l'assurance machiste insupportable de John Colby, l'état de décrépitude avancée de Ong Chu (ne pas se fier aux apparences, enfin pas totalement), le petit renvoi du requin. Il amalgame avec une certaine élégance une apparence parfois enfantine des personnages, avec des visuels spectaculaires ou parfois horrifiques. le lecteur est pris par surprise à plusieurs reprises : la matière cervicale de madame String qui vole dans les airs, une calotte crânienne coupée en deux par un revers du tranchant de la main par un tueur professionnel, une personne du troisième âge avec un filet de bave au coin de la bouche alors qu'elle pique un petit roupillon dans son fauteuil dans la résidence médicalisée, le requin massif qui a un petit renvoi dans son bassin, recrachant un pied humain dans sa chaussure, avec le tibia encore attaché, etc. La narration visuelle manque parfois d'une touche d'audace qui la rendrait irrésistible, mais elle n'est ni fade, ni un simple décalque de la série Chew.
Le lecteur peut donc se lancer dans cette histoire en se disant qu'elle est indépendante de la série mère. le scénariste fait mention au passage de quelques éléments tels que l'épidémie liée au poulet, sans que cela n'ait d'incidence directe sur l'intrigue. Celle-ci est focalisée sur Saffron Chu et son compagnon Eddie Molay. Ils vivent d'expédients et ont choisi de participer à un casse d'une nature dangereuse. Il s'agit donc de s'introduire dans le bâtiment qui sert de dépôt intermédiaire pour les gains illicites du plus grand parrain de la ville, et ce casse est organisé par le deuxième plus gros chef de gang de la ville. Tout ce qui peut tourner mal part en sucette : le casse échoue, une partie de l'équipe est tuée, le parrain a pu identifier Saffron et Eddie. Il loue les services d'un tueur en série pour éliminer Saffron, parce qu'Eddie lui doit de l'argent et qu'il compte bien qu'il finira par lui rembourser. Dans le même temps, Saffron ne peut que croiser les doigts pour que son propre frère Tony ne progresse pas trop dans l'enquête sur le casse. le lecteur se laisse prendre à cette trame classique de polar, avec un petit sourire aux lèvres, car les péripéties sont divertissantes, et la tonalité de la narration n'est pas au mélodrame. Les personnages sont agréables, sans être unidimensionnel, l'humour ne prend pas le pas sur l'intrigue, ne la désamorce pas.
Qu'il connaisse la série initiale Chew ou non, finalement le lecteur découvre des personnages autonomes par rapport à elle. le scénariste reprend l'idée de pouvoirs liés à la nourriture, Tony Chu étant toujours cibopathe avec l'effet neutralisateur de la betterave, et Saffron Chu étant cibopare, un pouvoir exigeant de réunir des circonstances compliquées pour pouvoir l'utiliser.
Dan Boultwood dessine dans l'esprit de
Rob Guillory sans le plagier, ni le singer, mêlant des influences manga à une narration comics, avec un entrain certain, une bonne humeur communicative, et une horreur relevant plus de la farce que de l'épouvante premier degré. le lecteur se laisse prendre aux tribulations légères de cette jeune femme voleuse de profession, s'étant attaqué à un trop gros poisson. Il ne manque qu'un petit grain de folie supplémentaire pour que Chu puisse rejoindre Chew dans la cour des grands.