Sur ce passeport, obtenu de haute lutte, avait été ajouté, à l'encre noire : Alien Ennemy. Ennemi du Reich et de la Couronne britannique. Il était devenu un paria. Ennemi du genre humain, Zweig, le fervent humaniste.
Cette biographie de Balzac, commencée à Londres, devait être son gros œuvre. Il ferait oublier son médiocre, son risible Stendhal. Son Balzac serait son chef d’œuvre. L’écrivain était son modèle et son maître…Il avait pour ambition une étude exhaustive de l’œuvre, sa structure, son essence, quelque chose qui embrasserait l’ensemble de « La Comédie humaine » et qui resterait comme une référence.
Oui, elle lui importait plus que tout. Sa personne comptait plus que les livres qu'il avait écrits et écrirait, plus que tous les romans jamais publiés.
... il se souvint des propos que lui avait tenus Rolland dans sa dernière lettre : "Je ne vous vois pas installé au Brésil. IL est trop tard dans votre vie pour y prendre racines profondes. Et sans racines, on devient une ombre."
La mairie de Vienne a décidé de couper le gaz dans les appartements occupés par les juifs. Le nombre toujours croissant de suicides par gaz dans ces habitations incommode la population et sera dorénavant considéré comme un trouble à l'ordre public.
Qu'avait il écrit , lui , en 1900, à l'âge ou d'autres s'essayaient aux poèmes d'amour ?
"Dans la neige", l'histoire d'un ghetto au Moyen Age à la lisière d'une ville allemande proche de la frontière polonaise ...Une communauté juive, pauvre, isolée, repliée sur elle même, fervente adoratrice de son Dieu...
Morts de froid , les Juifs allemands sur la route du paradis polonais
L'immense cercueil de glace de Pologne.Plus grand tombeau de l'univers
Voilà sa première œuvre, la noire vision de ses vingt ans, le froid linceul d’Israël.
En vérité, son oeuvre n'exaltait pas un message de pacifisme mais faisait l'éloge de la défaite. Oui, le vaincu à ses yeux était une figure sublime, celui qui emportait la victoire morale. La race des humiliés était supérieure à la race des seigneurs. Comment transmettre ce message?
Il voulait l'immensité paisible des vallées et des plaines, les montagnes qui jaillissent de la terre vivante, les vertes écumes de la mer, l'immensité du ciel étoilé. Il voulait le Brésil.
Mais son geste jettera l'opprobre sur son nom pour l'éternité. Inutile d'être grand clerc pour imaginer ce qu'on dira de lui. Il a abandonné les êtres dans la douleur, commis un acte de désertion, alors que l'heure est au combat. Il s'est comporté en lâche alors qu'on attendait de lui qu'il se montre exemplaire, héroïque.
On n'avait pas voulu le croire. On avait dit qu'il était fou. Déjà lorsqu'il avait fait ses valises, en 1934, quatre ans avant l'Anschluss, on l'avait traité de lâche. Il s'était exilé, lui, le premier des Viennois, le premier des fuyards.