Puis elle a levé son appareil et pris une photo de moi.
J'étais désolée pour elle. Les photos dans une glace ne donnent jamais rien. Je le sais. J'ai déjà essayé.
J'avais maintenant la main sur la pognée de la troisième porte. La règle des trois, avait dit miss Winter.
Mais je n'étais plus d'humeur à écouter son histoire.
Sa maison pleine de périls, avec sa pluie à l'intérieur et son miroir qui me jouait des tours, avait perdu pour moi tout intérêt.
J'allais quitter les lieux. Pour prendre des photos de l'église ? Même pas. J'allais me rendre à l'épicerie du village. Téléphoner à un taxi qui m'emmènerait à la gare, et de là je rentrerais à la maison.
Voilà ce que j'allais faire. Mais, pour l'instant, je préférais attendre quelques minutes, la tête appuyée contre la porte, les doigts sur la poignée, indifférente à ce qu'il pouvait y avoir derrière, attendant que mes larmes sèchent et que se calment les battements de mon coeur.
J'attendis.
Puis, sous mes doigts,la poignée de la troisième porte se mit à tourner ... toute seule.
Une bonne histoire est toujours plus séduisante qu'un éclat de vérité.
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Tandis que, à demi-consciente, je commençais à formuler mes questions, la marge sembla s'élargir. Le papier vibrait de lumière. Se gonflant à l'infini, il finit par m'engloutir, jusqu'à ce que je comprenne, dans un mélange d'excitation et d'émerveillement, que j'étais prise dans le grain du papier, enfouie dans le coeur blanc de l'histoire elle-même. En état d'apesanteur, j'errai toute la nuit dans l'histoire de Miss Winter, retraçant ses paysages, délimitant ses contours et, debout sur la pointe des pieds, à ses marges, j'essayai de percer les mystères qui l'entouraient.
Je croyais aimer la pluie, en fait je la connaissais mal. Celle que j’aimais, c’était la pluie apprivoisée de la ville, adoucie par tous les obstacles que les toits des immeubles mettent sur son chemin, et réchauffée par la chaleur qui monte du pavé. Sur la lande, fouettée par le vent, aigrie par le froid, la pluie était hostile.
Aucun besoin de talent particulier pour être poli. Au contraire, l’amabilité est ce qui reste quand on a tout raté.
Mais le silence n'est pas l'environnement naturel des histoires. Elles ont besoin de mots. Sans eux, elles se fanent, s'étiolent et meurent. Et pour finir, elles vous hantent.
Ce n'était pas tant de compagnie qu'elle avait besoin alors que du pouvoir anesthésiant de l'histoire à conter.
Il y a des moments où le visage et le corps humain sont capables d'exprimer les attentes du cœur avec une telle intensité qu'on peut, comme on dit, y lire à livre ouvert.
Vous êtes libre de ne rien dire si c'est ce que vous voulez. Mais le silence n'est pas l'environnement naturel des histoires. Elles ont besoin de mots. Sans eux, elles se fanent, s'étiolent et meurent. Et pour finir, elles vous hantent.
S'il y a une chose sur laquelle nous sommes d'accord, c'est qu'il y a trop de livres dans le monde pour qu'on puisse prétendre les lire tous en l'espace d'une vie, et qu'il convient donc de se fixer des limites.