Le 12 janvier 2012, Léna, 16 ans, voit, contre toute attente, son frère à la télé à côté d'un islamiste brandissant la tête décapitée d'un otage. A compter de ce jour, sa vie et celle de ses parents sont bouleversées. Ils doivent changer de métier, de ville, et pour finir d'identité tandis qu'Ivan continue à sévir en Syrie avec les autres émules de l'État Islamique.
Léna et les siens sombrent dans le désespoir sans que personne ne leur vienne en aide : comment ont-ils pu ne rien voir ? Comment
Ivan Rodriguez, un jeune homme charmant, s'est-il transformé en Abderrahmane El Khader, cet islamiste radical sanguinaire ? Incompréhension totale. Doute. Souffrance.
Encore si Ivan avait grandi ailleurs : dans une famille en difficulté ou avec des parents extrémistes ou dans un pays en guerre, ils auraient pu comprendre mais là non, rien ne peut expliquer qu'il soit devenu un assassin.
Loin de Toulouse, Léna essaie tant bien que mal de se reconstruire un semblant de vie et un réseau d'amis même si elle sait qu'elle ne pourra jamais leur révéler sa véritable identité. Elle entretient aussi une correspondance électronique avec Théo, l'ancien meilleur ami de son frère. Un jour, elle reçoit une lettre manuscrite de sa part : Ivan l'a contacté, il souhaite revoir sa soeur et donne rendez-vous à Léna en Espagne près de l'ancienne cabane de jeux où ils aimaient aller, enfants.
Léna s'arrange donc pour obtenir de ses parents la permission d'aller en vacances chez son oncle et sa tante, à Port Lliat, le petit village de Catalogne où
Salvador Dali avait élu domicile. Théo l'accompagne. En chemin, ils font la connaissance de Joan qui les prend dans sa voiture alors qu'ils font de l'auto-stop.
Léna va au lieu de rendez-vous avec Théo mais Ivan ne se montre pas : il veut la voir, seule, comme il le précise sur un bout de papier. Parce qu'elle a confiance en son frère et ne peut croire qu'il lui veuille du mal, elle décide donc d'accepter sa demande mais téléphone à Théo puis laisse son portable allumé pour que ce dernier puisse intervenir en cas de problème.
Heureuse précaution ! Ivan a en effet l'intention d'enlever sa soeur afin de l'offrir comme épouse au frère de son Émir. Joan et ses compagnons anarcho-syndicalistes entrent alors en piste et prennent en chasse le ravisseur. Malgré leur grand âge, il s'agit d'une équipe de combattants soudée, entre autres, par la lutte contre Franco. Théo, de son côté, prévient la police et particulièrement le Brigadier-chef Tambon qui va les aider à avoir raison des terroristes. de fait, contre toute attente, Ivan et ses acolytes sont dotés d'un matériel de professionnels (scanner de fréquences radio, ordinateur, caméras) qui leur permet de déjouer sans problème les plans de Joan and co. Si Théo n'avait pas désobéi aux ordres et contacté la police, Ivan aurait réussi son coup. Au lieu de cela, il est mis hors d'état de nuire et Léna retrouve Théo, le jeune homme qu'elle aime au lieu de devenir l'épouse d'un haut gradé de l'État islamique.
Ce texte n'est pas parfait, et certains trouveront sans doute que la bleuette entre Lena et Théo est de trop.
Benoît Séverac a néanmoins eu l'intelligence d'aborder le sujet rebattu du djihadisme sous un angle assez inattendu : celui de la famille. Ce roman m'a notamment fait repenser au cas de Mohamed Abdelsam qui, suite aux atrocités commises par son frère, a fait d'objet d'une couverture médiatique débridée et a été soupçonné par plus d'un (à tort ou à raison) de complicité.
Dans le roman, parce qu'on s'identifie sans problème à Lena, victime innocente des agissements de son frère, on s'interroge sur la notion de « présomption d'innocence » et on se rend compte à quel point elle est menacée dans un contexte d'actions terroristes. Les proches du « fou de Dieu », alors même qu'ils sont les premiers à être surpris et horrifiés par les actions d'Ivan, deviennent aussitôt des suspects potentiels et après des interrogatoires sans fin, sont atteint par diverses rumeurs, diffamations, voire menaces de mort.
Il ne s'agit pas ici de défendre les éventuels complices de crimes atroces mais d'attirer l'attention sur les victimes collatérales que constituent aussi les parents, la soeur, les oncles et tantes du terroriste qui n'ont rien demandé et dont la vie est doublement brisée :par la trahison qui est venue subrepticement de l'intérieur et par les jugements et les ragots extérieurs qui ne leur laissent pas une chance de se reconstruire.
Benoît Séverac interroge donc autant le rapport incrédule de la famille au fils qu'elle n'avait pas vu se transformer en monstre que notre propre défiance envers des proches qu'on pense toujours a priori plus ou moins responsables des exactions du criminel. J'ai trouvé intéressant que dans notre contexte de réactions à chaud (sur les réseaux sociaux que Lena évoque d'ailleurs) et de buzz médiatique, la littérature nous amène à davantage de recul, de réflexion.
L'épigraphe initial, une citation de
Stephen Dobyns, donne d'ailleurs le ton « Celui qui ne doute pas, ne se doute pas » : peut-on imaginer le pire venant de quelqu'un qu'on aime profondément ou est-ce humainement impossible?