Mais qui du père ou du fils est sain d'esprit ?
Le père, Patrick Fabas, est une ordure. Mais une ordure morte. Qu'on a vraisemblablement suicidée.
Le fils, Matthieu Fabas, est un assassin. Il y a quinze ans, il a tué. Sciemment. Un pédé. Il fallait prouver au Père qu'il n'était pas l'une de ses tafioles, qu'il en avait dans le calbut malgré ce que la nature avait décidé.
Entre les deux, il y a Cérisol, l'inspecteur chargé d'enquêter sur la mort du Père. Naturellement, ses soupçons se portent sur Matthieu qui est sorti de prison la veille. Des soupçons orientés par un cahier découvert chez le Père. Un cahier que Matthieu a rédigé lors de différentes séances d'un atelier d'écriture qu'il a suivi lors de sa détention. Un cahier où il révèle son passé, sa relation avec son père. Ce père qu'il admire mais qui le déteste. Ce père motard, raciste, homophobe, violent. Dont il espère une torgnole plutôt qu'une indifférence empreinte de mépris. Ce père pour l'estime duquel il a pris 15 ans de taule. L'a-t-il tué ?
Quel texte, bordel !!!
Benoit Séverac tisse une toile narrative dans laquelle la relation père-fils est la glu qui piège chacun des personnages. La relation toxique des Fabas, la désillusion de Nicodémo, collègue de Cérisol, déçu de voir son fils abandonner ses études d'architecte pour devenir vitrailliste, la crispation de Grospierres, tout jeune flic, qui voit dans ses collègues des patriarches condescendants, la frustration de Cérisol dont la femme, sportive de haut niveau non-voyante, refuse d'avoir un enfant de peur de lui léguer son handicap, et enfin le lien presque paternel qui se crée entre Matthieu et le romancier animateur de l'atelier d'écriture. Un romancier qui conseille : "il faut créer de l'empathie avec les personnages". C'est réussi. Grandement.
Ici, l'écriture est d'une force et d'une sensibilité vénéneuse. Parvenant à rendre sublime le terrible (le passage du "Safari" est magistral). Elle est même l'un des éléments centraux du roman. L'art d'écrire dans tout ce qu'il a d'ambigu : écrire pour soi, pour exorciser ses démons, écrire le réel, l'imaginaire, pour être lu, pour vendre, pour vivre. Séverac poussera même le vice à loger la bande de motards néonazis à laquelle appartient le Père dans… une imprimerie désaffectée.
Bref, "
tuer le fils" joue avec nos sentiments, nos émotions, nous effraie, nous fait douter, espérer, aimer, haïr, et on en redemande.