Difficile, de nos jours, de mesurer la valeur littéraire des
lettres de Madame de
Sévigné, comme de goûter la saveur d'allusions à des personnes ou des événements totalement disparus dans les sables du temps. Les notes regroupées en fin d'ouvrage sont aussi nécessaires à la lecture que responsables de coupures incessantes. Demeure l'intérêt de
lettres écrites à brûle-pourpoint, sans souci de la postérité, qui trempent les personnages statufiés des livres d'histoire dans le quotidien d'une vie réelle, Condé et Turenne évoqués pêle-mêle entre les coliques de la comtesse de Grignan et les rhumatismes de sa mère. Et c'est ainsi que l'on touche d'un peu plus près une France surplombée d'un monarque divin, échangeant quelques mots d'une amusante platitude avec l'épistolière, au terme d'une représentation d'Esther - du grand Racine - par les jeunes protégées de Madame de Maintenon ; une France où la guerre incessante se déroule aux frontières, balançant les grandes familles d'aristocrates entre la crainte d'une issue funeste et la félicité d'une blessure bénigne assurant un florilège de compliments empressés ; où le passage du Rhin de 1672 occasionne de glorieuses représentations picturales, hautes en couleurs, tout en plongeant Madame de Longueville et le duc
De La Rochefoucauld dans une profonde affliction ; où les mariages comme les régiments sont affaires d'argent ; où la question de la prédestination est âprement disputée tandis qu'une femme sur deux meurt en couches, provoquant
Madame de Sévigné à faire preuve de volontarisme en exhortant sa fille à éviter les grossesses, tout en restant fataliste en considérant le concours de circonstances qui valut à Turenne d'être fauché par un boulet ; une France, encore, où quelques menus bretons sont exposés publiquement au gibet pour ne pas consentir à toutes les impositions royales, mais où la petite vérole frappe sans distinction toutes les familles. Ainsi, de la disgrâce du surintendant Fouquet au couronnement du prince d'Orange, s'écoule une vie d'un tempérament léger, quoique cerné par la mort, qui eut l'amer privilège de survivre aux complices de son temps : le sulfureux
Bussy-Rabutin, le sage La Rochefoucauld, ainsi qu'une autre dame de renom, la comtesse
De La Fayette, morte "tristement". Pour illustrer sans fard que tout destin s'inscrit dans les moeurs du temps, mêle la trivialité et le drame, dans une éternelle fin.