Je crois beaucoup plus aux vertus du rire qu'à celles du militantisme.
La littérature n'a aucun sens si elle ne s'adresse pas à un lecteur universel. Pourquoi les livres qu'on écrit n'atteignent -ils qu'un nombre restreint de quartiers français ? Pourquoi les lecteurs qui se rendent aux salons du livre ont-ils toujours le même profil (plutôt âgé et plutôt blanc) ? Ces questions sont très importantes. Ma position sur le sujet est radicale : je tiens pour inepte toute tentative de valorisation d'une culture d'origine. Il faut toujours postuler l'universalité du lecteur.
Mais créer un dessin qui montre qu'on a compris le structure de l'être humain produit l'inverse de l'idolâtrie. ca s'appelle la littérature.
La grande vertu d'un roman, c'est justement de nous mettre devant les yeux un contenu inattendu et de nous inviter à y penser avec d'autres.
Les jeux de rôle constituent un excellent apprentissage pour le récit romanesque, parce qu'ils matérialisent la confusion entre l'auteur et le lecteur.
On pourrait dire que toute relation entre l'auteur et le lecteur reproduit l'esprit du jeu de rôle. Le but est de faire croire au lecteur à sa participation dans le récit. Et l'idée de comparer l'écriture et la lecture à un jeu me parle beaucoup. Fait-on autre chose que jouer quand on lit et quand on écrit ?
Lire un livre, c'est être disposé à changer d'avis.
L'enfance ne désigne pas un âge précis, mais une période formatrice de la vie. On peut décider qu'à 40 ou 50 ans un ouvrage déterminant va nous changer complètement. Lire un livre, c'est être disposé à changer d'avis.
C'est pourquoi je soutiens que la catégorie de "littérature enfantine" n'a aucun sens. Il n'y a que des bons et des mauvais romans. Avec peut-être une différence : un enfant décroche de la lecture très facilement. Il faut donc lui proposer un roman qui ne lui donne aucune occasion de fermer son livre.
La seule chose qui puisse aujourd'hui sauver - je n'ose pas dire notre civilisation, parce qu'aujourd'hui c'est un gros mot - disons notre espace de vie, c'est notre capacité à nous enthousiasmer pour des récits communs. La seule fois de ma vie où je me suis fait beaucoup d'ennemis sur Twitter, c'est quand j'ai eu le malheur de dire après un match de football : « Je rêve qu'un jour un livre suscite autant d'enthousiasme. » Je me suis fait immédiatement traiter de petit-bourgeois. Ce qui m'agace, c'est le présupposé selon lequel ceux qui préfèrent le foot sont forcément pauvres. Mais pour le prix d'un T-shirt du PSG, on peut s'acheter 15 livres de poche ! Je fais la peau à ce genre de clichés méprisants qui laissent entendre que les livres sont réservés à une élite et que le foot serait le maximum de culture auquel on peut prétendre quand on est pauvre. Dieu sait que j'aime le sport et que je le porte très haut, mais il faudrait être fou pour le mettre au même niveau que la littérature.
Le problème, ce ne sont pas les mythes, c'est la pauvreté des mythes dont on se nourrit.
Il n'y a rien de plus facile que de faire un livre intelligent pour les gens intelligents. En revanche, essayer de faire un texte intelligent qui s'adresse à tous, voilà le vrai défi !