Citations sur Trois filles d'Ève (104)
Elle prenait sur elle les chagrins des autres comme s'ils étaient les siens et les portait autour de son cou, comme les colliers de pommes de pin qu'elle fabriquait dans son enfance. Ils lui piquaient la peau et la faisaient souffrir, mais elle refusait de les enlever jusqu'à ce qu'ils soient secs et s'émiettent en particules fines de poussière.
-Baba, est-ce que la religion te donne un sentiment de sécurité - comme un gant protecteur?
-Peut-être, mais je ne veux pas d'un peau supplémentaire. Je touche la flamme, je me brûle; je tiens un glaçon, j'ai froid. Le monde est ce qu'il est. On mourra tous. A quoi ça rime la sécurité dans une foule? On naît seul, on meurt seul.
La colère que Peri ne pouvait diriger contre Selma ou son mentor Üzümbaz Efendi, la frustration qu'elle ne pouvait contenir à l'égard de Mensur et de ses beuveries, le chagrin qu'elle ne pouvait exprimer à son frère aîné, la lassitude que lui inspirait son autre frère, elle les mélangeait en une sorte de pâte gluante qu'elle déversait dans ses pensées concernant Dieu. La pâte cuisait dans la fournaise de son esprit et montait lentement, craquelée au milieu, brûlée sur les bords. Alors que ses amies semblaient aussi simples et légères que les cerf-volants, jouant dans la rue, plaisantant à l'école et prenant chaque jour comme il venait, Nazperi Nalbantoglu, enfant véhémente et introvertie comme on l'est rarement à son âge, était en quête acharnée de Dieu.
Ils étaient aussi incompatibles que la taverne et la mosquée. Les plis qui leur creusaient le front, la raideur audible dans leurs voix les désignaient non comme un couple d'amoureux mais comme des adversaires lors d'une partie d'échecs. Sur l'échiquier usé de leur mariage, ils avançaient chacun leurs pions, méditaient la stratégie des prochains coups, s'emparaient de châteaux, d'éléphants, de vizirs, cherchant à infliger l'ultime défaite. Chacun voyait en l'autre le tyran de la famille, l'être odieux, et rêvait de dire un jour : "Échec et mat, shah manad, le souverain est impuissant."
Elle sentait souvent une forte envie d'empoigner un seau d'eau savonneuse et de lessiver les rues, les jardins publics, le gouvernement, le parlement, la bureaucratie, et pendant qu'elle y était, de rincer aussi quelques bouches sales. Il y avait tant de crasse à nettoyer, tant d'objets brisés à réparer, tant d'erreurs à corriger. p. 12
Les Rinds étaient un peuple libre de tout préjugé ou intolérance... Cette philosophie ancienne a disparu de notre pays.... Et pas seulement ici. Partout dans le monde musulman. Réprimés, censurés, effacés. Pourquoi? Au nom de la religion, ils tuent Dieu. Au nom de la discipline et de l'autorité, ils oubllient l'amour. p. 119
Quantité de gens jeûnaient pendant le Ramadan autant pour renouveler leur foi que pour perdre du poids. p. 125
Trop de gens souffrent de M.D.C. (maladie de la certitude)... Avec la certitude vient (souvent) l'arrogance, avec l'arrogance, l'aveuglement, l'obscurité, avec l'obscurité encore plus de certitude... La curiosité est supérieure à la certitude. La M.D.C. peut s'imaginer comme une cape dont il est possible de se dévêtir. p.322-323
Le problème aujourd'hui, c'est que le monde attache plus de valeur aux réponses qu'aux questions. Mais les questions devraient compter bien davantage ! Je crois au fond que je veux faire entrer le diable à l'intérieur de Dieu et Dieu à l'intérieur du diable . (p. 348)
Dieu, non plus être transcendantal ou juge vengeur ou totem tribal, mais Dieu idée unificatrice, objet d'une quête commune. La recherche de Dieu, si elle était déouillée de toutes ses étiquettes et ses dogmes, pouvait-elle être transformée en espace neutre où chacun, y compris les athées et les polythéistes, pourrait prendre part à une discussion de qualité. p. 445
Il y a dans l'amour quelque chose qui ressemble à la foi. C'est une sorte de confiance aveugle. l'euphorie la plus douce. La magie d'établir une relation avec un être au-delà de notre moi familier, limité. Mais si on se laisse emporter par l'amour, ou par la foi, il devient une sorte de dogme, une fixation. La douceur se change en amertume. Nous souffrons entre les mains des dieux que nous avons nous-mêmes créés. p. 471-2
Elle sentait souvent une forte envie d'empoigner un seau d'eau savonneuse et de lessiver les rues, les jardins publics, le gouvernement, le parlement, la bureaucratie, et pendant qu'elle y était, de rincer aussi quelques bouches sales. Il y avait tant de crasse à nettoyer ; tant d'objets brisés à réparer ; tant d'erreurs à corriger
Jamais elle ne le dirait à sa mère, mais parfois elle se demandait si elle croyait en quoi que ce soit. Culturellement, elle était musulmane, bien sûr. Elle adorait le Ramadan et les fêtes de l'Aïd, dont chacune emplissait le cœur de chaleur, et l'esprit de réminiscences viscérales d'arômes et de saveurs. L'islam, pour elle, était un réservoir de souvenirs d'enfance - si proche et personnel mais en même temps si vague, si éloigné dans l'espace et le temps. Comme le morceau de sucre qui fondait dans son café, à la fois là et absent.
« Je n'ai pas de sympathie pour la religion, ni pour les religieux, mais tu sais pourquoi j'aime encore Dieu ? »
Peri fit non de la tête.
« Parce qu'Il est tout seul, Pericim, comme moi... comme toi. Tout seul là-haut quelque part, personne à qui parler - oui, bon, peut-être avec quelques anges, mais si tu crois qu'on rigole beaucoup avec des chérubins ! Il y a des milliards de gens qui Le prient : "Oh donne-moi la victoire, donne-moi de l'argent, donne-moi une Ferrari, fais-ci, fais-ça..." Les mêmes mots encore et toujours, mais pratiquement personne ne se donne la peine de chercher à le connaître. »
Donner un droit de vote égal aux ignorants, c'est comme offrir des allumettes à un gamin. La maison risque de brûler!
On attendait d'eux [ les plus fortunés ] qu'ils croient en l' État pour le même raison qu'ils devaient croire en Dieu : la peur.