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Citations sur Trois filles d'Ève (104)

Il s'éclaircit la gorge – un peu théâtralement, pensa Peri – et commença à lire : « La question cruciale de l'existence de Dieu suscite l'une des disputations les plus ennuyeuses, stériles et mal avisées dans lesquelles ont pu s'engager des êtres par ailleurs intelligents. Nous avons vu, bien trop souvent, que ni les théistes ni les athées ne sont prêts à abandonner l'Hégémonie de la Certitude. Leur désaccord apparent est un cercle de refrains. Il n'est même pas juste d'appeler cette bagarre de mots un “débat”, car les participants, quel que soit leur point de vue, sont connus pour l'intransigeance de leur position. Là où il n'y a pas de possibilité de changement, il n'y a pas les conditions d'un véritable dialogue. » (…) « Voyez-vous, participer à un débat ouvert c'est un peu comme tomber amoureux. Le temps qu'il s'achève, vous êtes devenu une autre personne. » (…) « Aussi mes amis, si vous ne voulez pas changer, ne vous engagez pas dans des discussions philosophiques. »
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Dans son journal de Dieu, Peri écrivit : Les croyants préfèrent les réponses aux questions, la clarté à l'incertitude. Les athées de même, à peu de chose près. C'est drôle, quand il s'agit de Dieu, dont nous ne savons à peu près rien, très peu d'entre nous osent franchement dire : « Je ne sais pas. »
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« Franchement, je ne crois pas à la démocratie », dit un architecte aux cheveux en brosse et bouc impeccablement taillé. Son entreprise avait fait des profits considérables avec des programmes de construction dans toute la ville. « Prenez Singapour, ils ont réussi sans démocratie. La Chine. Pareil. Le monde bouge à toute allure. Il faut prendre les décisions en un éclair. L'Europe gaspille son temps en débats stériles pendant que Singapour galope en tête. Pourquoi ? Parce qu'ils sont concentrés sur l'objectif. La démocratie, c'est une perte de temps et d'argent. » (…) « Bon, je ne propose pas de renoncer aux urnes. On ne pourrait pas expliquer cela aux Occidentaux. Une démocratie sous contrôle, c'est parfait. Un cadre de bureaucrates et de technocrates conduits par un chef fort et intelligent. Tant que l'individu au sommet de la pyramide sait ce qu'il fait, je n'ai rien contre l'autorité. Sinon, comment on ferait venir les investisseurs étrangers ? » (…) « Après le fiasco du Printemps arabe, tout individu sain d'esprit est bien forcé de reconnaître les bienfaits de la stabilité sous un gouvernement fort. »
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Les riches, les riches en puissance et les ultra-riches partageaient tous le même sentiment d'insécurité. La paix de leur esprit dépendait en grande partie des caprices de l'État. Même les plus puissants redoutaient de perdre le contrôle, même les plus fortunés craignaient de devoir faire des sacrifices. On attendait d'eux qu'ils croient en l'État pour la même raison qu'ils devaient croire en Dieu : la peur. La bourgeoisie, malgré son éclat et ses paillettes, ressemblait à un enfant terrorisé par son père – l'éternel patriarche, le Baba. En pleine incertitude, à la différence de leurs équivalents européens, les membres de la bourgeoisie locale n'avaient ni audace ni autonomie, ni tradition ni mémoire – coincés qu'ils étaient entre ce qu'on attendait d'eux et ce qu'ils voulaient être.
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À Oxford, Peri avait appris comment la bourgeoisie occidentale, avec ses valeurs libérales individualistes et sa lutte contre les féodalités, avait joué un rôle progressiste au cours de l'histoire. Ici, la classe capitaliste était une idée d'arrière-garde, l'épilogue d'une chronique qui attendait encore d'être narrée. Selon Marx, la bourgeoisie avait créé un monde à son image. S'il avait écrit le Manifeste communiste en Turquie et à propos d'elle, cette thèse aurait peut-être été très différente. Bien connue pour ses manœuvres d'évitement, la bourgeoisie locale s'était rendue à la culture qui l'entourait. Comme un pendule en mouvement perpétuel, ils oscillaient entre un élitisme auto-satisfait et un statisme auto-dépréciateur. L'État – avec un É majuscule – était l'alpha et l'oméga de toute chose. Comme un nuage orageux à l'horizon, l'autorité de l'État flottait au-dessus de chaque demeure du pays, villa somptueuse ou humble appentis.
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Mais les choses avaient changé de manière dramatique au cours des dernières années. Les couleurs s'étaient figées en noir et blanc. Des mariages comme celui de ses parents – l'un pieux, l'autre non – se faisaient de plus en plus rares. La société actuelle était divisée en ghettos invisibles. Istanbul ressemblait moins à une métropole qu'à un patchwork urbain de communautés séparées. Les gens étaient soit « religieux fervents » soit « laïcs fervents », et ceux qui gardaient un pied dans chaque camp, mettant la même ardeur à négocier avec le Tout-Puissant qu'avec l'esprit du temps, avaient disparu ou se faisaient étrangement muets.
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Des gens qui auraient refusé de partager leur pain partageaient leur insanité. Cette perte collective de toute raison avait quelquechose d'insondable : si un nombre suffisant de regards éprouvaient la meme hallucination, elle devenait vérité ; si ceux qui riaient de la même misère étaient assez nombreux, elle se changeait en petite blague amusante.
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En grandissant, elle apprit à réprimer ses bizarreries, une par une. Toutes ses anomalies furent réduites en poudre tristement ordinaire par la famille, l'école et la société. Sauf le bébé dan le brume. mais elle savait bien qu'elle était différente. D'une étrangeté qu'elle s'appliquait à dissimuler, une cicatrice qui resterait à jamais gravée sur sa peau. elle mettait tant d'effort à être normale que souvent il ne lui restait plus d'énergie pour quoi que soit d'autre, ce qui lui donnait le sentiment d'être sans valeur.
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Le visage qu'elle vit dans le miroir tout en se lavant les mains était celui d'une jeune femme qui manquait trop souvent de confiance en soi et de légèreté. Elle se reprochait souvent de ne pas savoir se montrer joyeuse. Sûrement elle avait dû commettre une faute qui engendrait ce désarroi involontaire.Mais peut-être que les gens qui échouaient à l'examen du bonheur n'étaient pas en faute. La tristesse n'était pas un symptôme de paresse ou d'apitoiement sur soi. Peut-être ces gens étaient-ils simplement nés comme ça. lutter pour être plus heureux était aussi vain que lutter pour être plus grand.
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... pour une foule de croyants, les mots des prières étaient des sons sacrés qu'il fallait non pas tant pénétrer qu'imiter - un écho sans début ni fin, où l'acte de penser se réduisait à l'acte de mimer. Dans le sein protégé de la foi, on trouvait les réponses en abandonnant la question, on avançait en se livrant.

( page 192)
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