Depuis longtemps je rêvais de relire
Roméo et Juliette en version originale mais j'ai toujours eu un peu peur de me lancer. Et puis il y a peu je me suis enfin décidée, et je regrette de ne pas l'avoir fait plus tôt car ça été une expérience absolument merveilleuse.
J'avais pas mal d'appréhensions car aussi à l'aise que je puisse être avec l'anglais, ça reste de l'anglais du XVIe siècle et j'avais peur qu'il soit trop inaccessible. C'est pour ça que j'ai choisi de lire une version bilingue — qui soit en disant passant est une invention lumineuse —, que j'ai trouvé être un parfait compromis car tout en lisant une oeuvre dans le texte on peut s'aider si besoin de la traduction sur la page d'à côté qui prodigue un réel accompagnement.
Et ce que j'ai découvert c'est que lire en VO change le rapport à une oeuvre. Elle apporte une autre dimension, elle procure un plaisir différent. On ressent directement l'émotion. Et j'ai adoré redécouvrir ma pièce préférée sous ce jour nouveau.
J'ai toujours pensé, comme beaucoup d'entre nous à mon avis, que le français était la plus belle langue du monde. Néanmoins cette pensée peut parfois nous faire oublier la beauté propre des autres langues, et pour moi cette lecture m'a permit de me rappeler combien l'anglais était aussi beau, d'une façon différente, avec ses propres codes, mais totalement agréable et vibrant. J'ai d'ailleurs lu la pièce très lentement afin d'en apprécier pleinement chaque scène, chaque vers, savourer chaque mot. Et en lisant William dans le texte on se rend compte de la quantité d'argot, de jeux de mots et d'effet de style dont il utilise allègrement et on ne peut que constater combien de tracas a du causer sa traduction au cours de ces cinq cent ans. D'ailleurs j'ai expérimenté plusieurs traductions différentes au cours des années, et celle que je préfère et de loin, c'est celle de
Pierre-Jean Jouve aux éditions GF flammarion, formidable hasard car la seule version bilingue que j'ai trouvé est celle de GF flammarion !
J'avais oublié que la pièce était si vive, si belle et si hétéroclite.
Mon avis est très subjectif car j'ai un rapport assez particulier à cette oeuvre, depuis très longtemps et pour diverses raisons elle est très spéciale pour moi. J'ai pris un plaisir immense à la relire, je me suis immergée avec délice, je voyais toutes les scènes prendre vie et se dérouler dans ma tête.
C'est une oeuvre avec à la fois beaucoup d'humour et de poésie. Les repliques, les dialogues, les vers sont tantôt sublimes, tantôt légers, tantôt mordants.
J'ai apprécié la témérité de Mercutio, la tempérance de Benvolio, l'excentricité de la nourrice, la sagesse du Frère Laurent, la colère du Prince, et bien-sûr l'amour et le désespoir de Juliette et Roméo. La précipitation de leur amour, que
Shakespeare ne manque de nous signifier à plusieurs reprises via les voix du Frère Laurent, de Mercutio et de Juliette elle-même, on le sent qu'il est irrationnel presque de la folie, mais nous le lecteur, tout autant qu'eux, on se laisse prendre. On se laisse toucher, embarquer par cet amour passionnel, fusionnel. Mais on voit surtout l'engrenage funeste s'enclencher, un engrenage que rien ne semble pouvoir arrêter, une succession de coups qui s'enchainent comme des dominos et qu'on aimerait stopper. Et même si je connais la fin par coeur elle ne manque jamais de me bouleverser et plus encore maintenant dans son lyrisme original.
C'est une tragédie si bien mené par
Shakespeare, si belle et unique qu'elle est devenu intemporelle. Chaque personnage a son identité, les rebondissements servent une intrigue bien pensé, et puis il y a de la joie, de l'humour, de l'amour, du drame, des non-dits, des malentendus, de la haine, de la colère.
Il ne tenait qu'à un cheveu que les amoureux vivent un amour paisible.
Mais comme l'avait senti Romeo avant que tout commence :
« I fear too early, for my mind misgives;
Some consequence, yet hanging in the stars »