En marchant, je me souviens d'une conversation avec l'un de nos clients américains. Il m'avait dit, frustré : "Il n'y a pas de nom ni de numéros de rue. Comment fait-on pour se rendre à l'endroit qu'on cherche ?" Je lui ai répondu : "Demandez-le au poste de police ou bien au facteur du quartier. Ils connaissent les noms des résidents par cœur.
Je vois le visage de ma mère qui me sourit : "Banzô-san viendra bientôt me chercher !" J'ai envie de pleurer.
Vous n’avez pas appris à l’école l’histoire des soldats japonais qui ont été envoyés aux camps de travaux forcés ?
Elle répond sèchement :
Non, pas du tout.
C’est incroyable ! Voilà pourquoi les gens de la nouvelle génération sont si ignorants.
Elle est fâchée.
Ce n’est pas de notre faute, monsieur ! C’est à cause des gens de votre génération qui ont rédigé les manuels scolaires. Maintenant, l’histoire ne sert à rien, car tout ce qu’on apprend n’est que mensonge.
Je sais que beaucoup de livres ont été publiés à ce sujet par des rapatriés de la Sibérie, mais j’ignorais que cette histoire précise n’était pas évoquée dans les manuels scolaires. Le Japon a pourtant été une victime directe des politiques de l’Union soviétique. Satoshi me dit :
–On parle beaucoup des victimes des bombes atomiques larguées sur Nagasaki et Hiroshima. Pourquoi ignore-t-on les victimes des travaux forcés en Sibérie ?
il a raison. On dit que plus de 600 000 Japonais y ont été déportés, sans préavis. Pire encore, plus de 60 000 y sont morts… Et même maintenant, 25 ans après la fin de la guerre, personne ne connaît le nombre exact de victimes de cette déportation, mortes ou vivantes. En réalité, les chiffres réels doivent être beaucoup plus élevés que ceux qu’on donne officiellement. Honnêtement, je ne sais vraiment pas pourquoi ce sujet est traité aussi froidement.
(p. 68)
Son visage n’a pas changé autant que je l’imaginais. Pourtant, l’expression de ses yeux n’est pas celle que j’ai
connue. Comme Kôji le disait, son regard cache une tristesse profonde.
Mon père s’arrête devant moi. Nous nous regardons. Trop ému, je ne
sais que dire.
Son visage n’a pas changé autant que je
l’imaginais. Pourtant, l’expression de ses yeux n’est pas celle que j’ai
connue. Comme Kôji le disait, son regard cache une tristesse profonde.
Ses yeux étincellent. Son regard reste en extase, je n’ai jamais vu son
visage aussi heureux depuis qu’elle est tombée malade. Un instant, je me
demande : « Qui est cette femme ? Ce n’est pas ma mère, ce n’est pas celle
que je connais. »
En marchant, je me souviens d’une conversation avec l’un de nos clients
américains. Il m’avait dit, frustré : « Il n’y a pas de noms ni de numéros de
rue. Comment fait-on pour se rendre à l’endroit qu’on cherche ? » Je lui ai
répondu : « Demandez-le au poste de police ou bien au facteur du quartier.
Ils connaissent les noms des résidents par cœur. » Il n’était pas content :
« Les villes japonaises sont de véritables labyrinthes ! » Le mot
« labyrinthe » évoque maintenant la nouvelle vie de mon père : en un sens,
un endroit pareil est commode pour des gens qui veulent vivre dans
l’anonymat.
La prochaine fois, Banzò-san et moi, nous nous rencontrerons dans l'autre monde. Je suis heureuse d'y aller...
Tu sais, le zakuro est appelé « grenade » en français, ce qui signifie aussi ryûdan en japonais.
Ryûdan ?
Oui. Grenade à main, grenade incendiaire, grenade fumigène…