Zakuro

- Qu'est-ce que vous recommandez, mademoiselle ? Quelle est la spécialité du chef ?
Elle sourit :
- Monsieur, ici tous les plats sont de spécialités.
- C'est vrai ? alors je prendrai un tempura udon. C'est le plat que mon père aime le plus !

- Pourquoi tu n'aimes pas l'histoire ?
Il répond :
- Honnêtement, ce n'est pas l'histoire que je n'aime pas. C'est ce manuel scolaire lui-même.
Je suis curieux :
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Des événements bien réels, comme celui des Japonais déportés en Sibérie sont absents du texte. Je me demande comment réagirait mon grand-père s'il était vivant.

Ce rapatrié n'a pas utilisé le mot "meurtre", mais il a entendu parler d'une expression étrange, "la liste de la mer du Japon", qui signifie le nombre des morts sur les bateaux, dus à la maladie, au suicide, ou bien...

J'ai bientôt appris qu'à cet hôpital, tous les cadavres étaient utilisés pour des recherches menées par des médecins militaires. j'étais terrifié en pensant que mon corps serait aussi disséqué, vivant ou mort, pour leurs expériences scientifiques.

Les travaux forcés étaient épouvantables. Je ne sais combien de soldats japonais sont morts autour de moi. Les souffrances dues à la faim, au froid rigoureux de l'hiver et même à la chaleur suffocante en été. Tout cela dépassait notre imagination. C'était déjà incroyable que je puisse revenir vivant au Japon. Ce seul fait aurait dû être suffisant et j'aurais dû apprécier pleinement mon sort en pensant aux autres qui ont crevés comme des chiens.

Comme dit le dicton : « Le phare n’éclaire pas son pied. »
(Page 48)

Dans mon enfance, j’ai passé beaucoup de temps avec mon père. J’ai été enfant unique jusqu’à l’âge de onze ans, lorsque mon frère est né. Mes parents avaient pensé que je serais leur premier et dernier enfant. À la
différence de moi, mon père n’a pas passé beaucoup de temps avec mon frère et mes sœurs. Son travail de contremaître l’accaparait alors. Je me suis occupé d’eux à sa place.

A vrai dire, mon père ne pensait pas qu'on mérite l'accès à l'enseignement supérieur seulement parce qu'on a obtenu d'excellentes notes. Il me disait souvent : " Je connais des gens qui sont stupides même s'ils ont réussi leurs études universitaires. Ces gens sont plus stupides que les gens sans instruction !

Ma mère est assise dans le fauteuil. Elle tient toujours le zakuro dans ses mains. Je regarde le contraste des couleurs: le blanc de sa jupe et le rouge du fruit. Le rond rouge sur le fond blanc évoque le drapeau du Japon. Je me demande qui a créé ce motif simple et beau.

Je suis distrait un instant par la couleur du zakuro. Le rouge évoque le drapeau de l'Union soviétique : la couleur du sang. Mon père a écrit qu'il s'était rappelé ce fruit en regardant la tête coupée en deux d'un cadavre. Je suis certain qu'il ne voudrait plus voir ces fruits ni en manger. Néanmoins, il a nommé son restaurant Zakuro. Je ne lui ai pas demandé pourquoi, mais je crois qu'il tente de ne pas oublier ses compatriotes qui sont morts si misérablement.