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Critique de Charybde2


Ciudad Juarez sur Don : premier retour à Mertvecgorod, la monstrueuse mégapole post-soviétique, mystérieuse et infectieuse.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/07/28/note-de-lecture-feminicid-christophe-siebert/

Christophe Siébert nous avait fait découvrir Mertvecgorod, l'immense ville fictive, aux confins de l'Ukraine et de la Russie, qu'il a inventée pour habiter et hanter les ruines post-soviétiques au sein même de nos imaginaires, avec son « Images de la fin du monde » de 2020 (auquel je vous renvoie donc pour une situation générale de la mégapole infectieuse).

Un an plus tard, toujours chez Au Diable Vauvert, voici « Feminicid », qui nous permet, à travers le filtre du « manuscrit exfiltré » de Timur Domachev (« traduit par Ernest Thomas » 🙂), de retrouver des lieux désormais familiers, entre le sordide avéré des barres d'immeubles paupérisés et les somptueuses villas bunkérisées des hauts de la ville, ainsi que bon nombre de figures à présent connues, politiciens, oligarques, intermédiaires douteux, et, naturellement, en bonne place, le Svatoj Nikolaï lui-même, être hors normes fait de violence, de sainteté, de sexe et de mysticisme. Et nous voici donc armés pour traquer, par bribes, aux côtés du journaliste d'investigatio Timur (vraisemblablement suicidaire pour exercer ce métier en ce lieu) et de son alliée hackeuse Lily (un peu plus prudente ou paranoïaque que lui), le mystère de ces meurtres de femmes qui dévastent la cité depuis plusieurs années et qui n'ont rien à envier à ceux de Ciudad Juarez, à une échelle encore plus massive, semblant peut-être encore moins explicables.

Ce deuxième volume consacré, par de nouveaux angles d'approche, à la cité délétère mobilise à nouveau le plus cruel et le plus désespéré de l'imaginaire post-soviétique, celui que nous connaissons certes ici par bien d'autres biais, en général plus authentiques que l'étrange succédané récemment concocté par Giuliano Da Empoli et son « Mage du Kremlin », car Vladimir Sorokine et Viktor Pelevine sont grands, Thierry Marignac est habile, et Antoine Volodine (notamment à l'époque de « Un navire de nulle part » et de « Rituel du mépris ») comme la team Yirminadingrad (Léo Henry, Jacques Mucchielli et Stéphane Perger) ont su insuffler un souffle poétique fort rare dans les décombres de la fin rêvée de l'égalitarisme.

Mais une fois de plus, sur ce terreau à nul autre pareil, Christophe Siébert fait fructifier des ingrédients bien à lui, dont le mélange secret est à nouveau bien curieusement délectable. Son maniement insidieux de la langue, sans se limiter, loin de là, à l'usage malicieux des mots directement issus – éventuellement joliment déformés – du russe, passe par l'imbrication de registres techniques, journalistiques, politiques et sensuels que l'on connaît le plus souvent sous leurs formes bien disjointes. Et même dans le cadre littéraire d'une investigation, sa capacité à utiliser des mots ambigus, mots qui laissent entendre leurs non-dits, leurs suppositions et leurs collusions, avérées ou simplement vraisemblables, fait merveille. Dans le bourbier sans nom de Mertvecgorod, une écriture est née et se développe dans des directions encore insoupçonnées.

Lien : https://charybde2.wordpress...
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