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EAN : 9782207304303
192 pages
Denoël (02/06/1986)
3.69/5   16 notes
Résumé :
Raconter des souvenirs d'enfance peut être une forme de mépris de la douleur. Surtout si, au même moment, des spécialistes vous tabassent avec dextérité (vous êtes dans les caves du contre-espionnage). Collaborer aimablement avec vos tortionnaires trahit certainement votre mépris de la race terrestre. Même si l'officier qui vous interroge a un sang plutôt sympathique (il vient de se faire mordre par quelqu'un de votre tribu). Gagner du temps est aussi une façon de m... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
S'il y a des livres-métamorphiques, il en fait partie comme sa biographie comparée de Jorian Murgrave. La puissance de cet imaginaire nous enveloppe et l'on se retrouve à partager la conscience de cette créature plus ou moins humaine, plus ou moins mutant et fantastique, sans s'étonner des délices de la cruauté d'un monde livré aux guerres perdues, aux confessions-trahisons nous faisant retrouver l'enfance où l'on apprend à devenir monstre.

« J'apprenais à me sentir en sécurité au milieu de la terreur. »
Shoetan Göchkeit

« Derrière mes paupières d'enfant terrorisé, l'oncle se baissait, l'oncle ouvrait grands ses iris de rouille compacte, et j'y décelais des traces de sauvagerie, le goût vertigineux des greniers en ruine, des cheminées pour toujours éteintes. »

Ainsi au gré de l'interrogatoire inquisiteur du personnage-narrateur couchant ses souvenirs d'enfance, on repart sur la trace des différents « Oncles » ayant formé ce Moldscher au sang de Feuhl. On rencontre ainsi autant de personnalités terribles, oncles carnassiers, avaleurs d'âmes, brûlés à la télépathie, élevant ce jeune enfant jonglant entre les différentes races, les différentes tribus, lui de l'espèce des polymorphe de ces Feuhl pour qui « notre caractère national, c'est d'absorber les particularités des peuples de rencontre… sans perdre les nôtres ». Puis c'est l'inquisiteur poursuivant une impossible conquête qui s'accapare des chapitres. Avant un final assez délétère.

C'est rapide, c'est corrosif comme l'acide, ça combine la fabrique de l'Apocalypse brûlant les yeux d'un enfant et le récit, sempiternel, des guerres ratées.

Du côté du post-exotisme, on voyage entre les cités, les pays vitrifiés, les bombes stationnaires atomisant jour et nuit et les descriptions kamikazes sont éblouissantes, alternant le sombre sordide et l'étincelant paysage nucléaire, en passant par un réduit plein de miroirs et de marionnettes. Et bien sûr la dérilection des invasions des guerres révolutionnaires et contre-révolutionnaires, les haines identitaires délirantes et toutes mutées, jusqu'aux projets abandonnés de solution finale au profit d'une infiltration généralisée qui se solde par un vertige complet :

« L'ennemi, voilà, c'était nous, il avait fallu du temps pour le comprendre. Quatre guerres avec leurs horreurs. Nous assumions donc enfin cette vieille nature, ennemis jusqu'au dernier pouce de notre peau, baignant piteusement dans le sang traître, sur les trottoirs, devant les lignes au petit matin pour l'édification des nouvelles recrues. »

Mais ce qui fait le prix de cet opus au-delà des mutants aux pouvoirs occultes, des paysages de ravage, des bestialités trop humaines, ou des parfums envoûtants d'hallucination cauchemardesque, c'est la ligne pure de l'enfance qui se lit dans ces souvenirs : le silence, l'endurance, l'amour de la mère qui reste une figure d'innocence intouchée par toutes les atrocités dans lequel baigne ce monde, et le père, presque mélancolique, suicidé par son oncle, qui est le ressort de l'une des quêtes de vengeance qui retient et qui réserve son lot de désillusion. Ces éléments illuminent sourdement, secrètement, continument toute l'histoire et lui rendent un peu de cette grâce si désespérément souillée.
Lien : http://lucienraphmaj.wordpre..
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Retour dans le monde du démiurge Volodine commodément camouflé sous les oripeaux de la SF : nous sommes dans les sous-sol d'un cauchemardesque Loubianka où l'on pratique de savantes techniques de torture conter des dissidents ? … des aliens ?...des Autres. Volodine prend pour héros les vaincus, résidus des poubelles de l'Histoire dont les techniques de survie et de résistance sont des fuites dans le passé , l'imaginaire voire dans l'identification au bourreau.
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3ème opus poético-politique de Volodine : apprendre à disparaître, vaincre paradoxalement l'ennemi.

Désormais sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2014/08/15/note-de-lecture-rituel-du-mepris-antoine-volodine/
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
On ne sait jamais, ce salaud, à quelle race il appartient. Plutôt il a vogué de race en race comme une goule, et ensuite il s'est fixé, il s'est trop bien fixé à la race des saloperies ambulantes. Pourquoi il a été choisi pour l'expédition, va savoir. Le charognard traître par excellence. Un vrai Wolguelam pure souche c'est tout dire. On lui demandait pas de venir, surtout si c'était pour son propre compte. Du côté des steppes jaunes il était né, à courir en sale solitaire. Ca lui a donné les idées et la pratique, tout ce qui est interdit en magie et la haine de la famille qui était aussi un autre tabou. Une haleine wolguelam sous une apparence feuhl. Ca vous refuse de paraître aux festins tribaux, monsieur enverra son sang par porteur spécial. Une grande giclée de sang, va savoir s'il en a mâché ne serait-ce qu'une goutte. Une pinte de sang facile à obtenir, à condition d'avoir eu des clients dans la semaine. Avec ses frères tout pareil, pas un scrupule. Tous ceux qui le gênaient, toux ceux qui voulaient le remettre sur le droit chemin, il les laissait derrière lui en cadavres. Soit parce qu'ils avaient été trop insistants avec lui, soit parce qu'il les avait entortillés au creux de ses sortilèges sur la vieillesse et le temps qui coule. D'un seul coup il les jetait dans ses miroirs et son goudron. pas beaucoup savaient en ressortir. Comme ça il a eu Golpiez. Les faibles d'abord. Il a eu Golpiez, il aura tous ceux qui comme lui réfléchissent trop au temps qui coule. Et lui, le genre à mâchouiller du tang-tang pour bien se différencier du reste du clan. A quoi on a pensé en l'emmenant sur Terre !
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Comme par un fait exprès, à la première occasion nous avions perdu la guerre. Celle par laquelle s’ouvrait la série, en grande pompe. Nous n’avions d’ailleurs pas tardé à perdre la seconde. Pour ceux qui savaient lire, on imprimait dans les manuels d’histoire que le commandement allié s’était trouvé affaibli par des luttes internes.
Nous autres, le petit peuple, nous ne cherchions guère à discuter des responsabilités véritables : la tête dans les épaules, un peu étonnés de n’avoir pas été déchiquetés et de pouvoir circuler sans laissez-passer, nous profitions de notre maigre paix. Il y avait du pain aux carrefours, des sucreries les jours de fête. Nous nous étions habitués à l’aube grise, au ciel putrescent de pluies glaciales, aux convois partant à la fin du jour. Puis était venue la troisième guerre, la plus longue, la plus affamante, la plus éloignée de tout ce que nous avions pu imaginer encore. Dès le début, nous avions espéré une défaite, avec tous les avantages qui d’ordinaire l’accompagnent et auxquels nous commencions à prendre goût : les cantines d’urgence des troupes d’occupation, la fraternisation dans les bas fossés et la poudre de chocolat distribuée à l’occasion des prises d’armes, pour ne pas parler des égorgements à la sauvette, au butin toujours juteux.
Le cessez-le-feu fut une surprise pour tout le monde. C’était à l’évidence une victoire rampante de l’ennemi ; au lieu de nous balayer militairement, ce qui lui eût demandé quelque chose comme quatre ou cinq journées bien remplies, il faisait un choix tactique de grande envergure. Voilà qu’il s’offrait de nous faire mariner dans notre écroulement pendant une ou deux générations. Ensuite de quoi se déroulerait la quatrième guerre, une blitzkrieg comme on en voit peu, et que nous perdrions, une de plus, mais cette fois-ci d’une manière horrible, sans flonflons au coin des avenues, sans caramels et sans guimauves. Avec seulement le bruit des cadenas nous flétrissant la tête. C’était moins drôle.
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L’immortalité de Göchkeit cadre mieux avec le personnage. L’oncle s’était promis de vivre plusieurs siècles et il laissait entendre à son entourage qu’il ne reculerait pas devant les moyens à employer. Ses discours me donnaient le frisson : des demi-mots aussi repoussants que des mains d’étrangleur. Je l’imaginais en train de parcourir en grognant son existence démesurée ; sur son chemin, marqué par son odeur particulière, l’odeur de sueur saignante des Göchkeit, il dépassait les uns après les autres tous les membres de la famille, moi y compris. Je le suivais des yeux ; il conservait au cours des ans sa démarche d’ours, ses gestes hoquetants. J’avais mis longtemps à le réaliser, mais finalement j’avais saisi la nature de cette promenade effrayante : il se nourrissait de la mort des autres. J’avais une barbe blanche de vieillard ; il se retournait vers moi pour m’embrasser. Je vacillais ; c’était mon tour.
Tant pis pour mon image de marque auprès du public : je m’arrête là dans mes commentaires sur cette disparition.
Il y a des insolences qui sont dangereuses. Que ce fussent chutes dans des escaliers sombres ou soupes automnales trempées soudain aux amanites, il m’a toujours semblé que l’oncle était responsable des accidents survenus aux membres de son clan.
Et je ne tiens pas à m’effondrer avant l’heure sur ces feuilles éparses que je noircis, sans lumière, en hâte, malgré les menottes qui m’entravent les chevilles et les poignets.
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Arrête de faire le pitre !" disait-elle.
Et moi je lui obéissais, aussitôt et sans murmure. Son ton suffisait à me transmettre une partie de ce qu’elle ressentait, cette angoisse qui l’étreignait au matin lorsque venait l’heure de s’installer devant sa machine à sertir, et que se refermaient dans son dos les grilles de la grande porte.
Il m’a fallu attendre l’âge mûr, je crois, pour découvrir l’ampleur du dégoût qui déchirait ma mère. Elle avait eu la sagesse de le cacher : je ne l’ai jamais entendue se plaindre à haute voix des conditions infernales de notre existence, ni de la brutalité charbonneuse qui régissait les rapports entre les êtres. Ce ne sont pas des pleurnicheries que j’ai reçues d’elle. Elle ne faillissait pas à sa tâche d’éducation. Par l’intensité voulue de son exemple, elle m’apprenait la différence, l’opposition muette, elle me léguait les techniques du repli intérieur : je recevais sans m’en rendre compte toutes les leçons de ce silence.
Ce silence qui n’était rien d’autre qu’un hurlement, interminable et contenu.
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J’admets que ce que je hurle ne correspond pas souvent à ce que je chuchote pour moi-même. Il me semble que les enquêteurs ne s’en rendent pas compte. Ce n’est du reste pas mon problème. Ils n’ont qu’à me poser des questions plus subtiles, au lieu de me faire répéter les mêmes phrases depuis le matin.
Plus fort, encore plus fort : mes cris résonnent sous les galeries de béton. Et cela ne suffit pas. Maintenant que j’ai commencé à vider mon sac, ils exigent une voix claire, une articulation impeccable.
"Parce que tu pouvais juger, à cet âge-là ? À trois ans ?"
Oui et non, juger, je ne sais pas. J’étais précoce mais je m’arrangeais pour le cacher – autour de moi rôdaient les adultes, qui tout en m’enseignant l’indépendance intellectuelle ne m’eussent pas permis de la mettre en évidence. J’étais souterrainement précoce ; je devais feindre sans cesse la non-existence, la soumission, l’obéissance taciturne.
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Vidéo de Antoine Volodine
Rencontre animée par Pierre Benetti
Depuis plus de trente ans, Antoine Volodine et ses hétéronymes (Lutz Bassmann, Manuela Draeger ou Eli Kronauer pour ne citer qu'eux), bâtissent le “post-exotisme”, un ensemble de récits littéraires de “rêves et de prisons”, étrangers “aux traditions du monde officiel”. Cet édifice dissident comptera, comme annoncé, quarante-neuf volumes, du nombre de jours d'errance entre la mort et la réincarnation selon les bouddhistes. Vivre dans le feu est le quarante-septième opus de cette entreprise sans précédent et c'est le dernier signé par Antoine Volodine. On y suit Sam, un soldat qui va être enveloppé dans les flammes quelques fractions de seconde plus tard, quelques fractions de seconde que dure ce livre, fait de souvenirs et de rêveries. Un roman dont la beauté est forcément, nécessairement, incandescente.
À lire – Antoine Volodine, Vivre dans le feu, Seuil, 2024.
Son : Axel Bigot Lumière : Patrick Clitus Direction technique : Guillaume Parra Captation : Claire Jarlan
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