Là où vivent les hommes

Rien ne bougeait, tout était pétrifié comme dans du verre, et aucun oiseau ne s'aventurait dans le ciel qui jetait des éclairs de faux fraîchement aiguisée.

Janvier s'écoula dans un silence glacé, lumineux comme le lustre géant d'une église déserte, prolongé par des nuits bleutées où les étoiles en fleur éclataient dans un crépitement presque audible, inquiétant pour qui n'était pas familier d'un ciel d'hiver.

Dormir une nuit de Noël parmi les brebis me parut en accord avec les crèches de ma propre enfance, où se mêlaient la paille, l'âne et les deux moutons autour de Joseph, de Marie et de l'enfant Jésus.

Plus les jours passèrent et plus le froid devint mordant. Le matin, les perles du givre étaient accrochées aux branches comme à des arbres de Noël et un vent glacé giflait le visage quand nous allions casser la glace, un vent qui lustrait l'air bleuté en me donnant l'impression qu'il pouvait se briser comme verre.

Trente centimètres de poudreuse rendaient le causse semblable à un dôme blanc, d'où émergeaient seulement les rochers et les arbres immobiles comme des sentinelles mortes de froid.

Il neigea pendant trois jours, puis le froid emprisonna la neige dans sa poigne d'acier, rendant l'éclat du jour aveuglant pour les yeux.

L'air avait l'éclat des lavognes secrètes que les pluies de l'automne avaient réalimentées.

Les brebis avançaient rapidement vers le trésor espéré des dolines lointaines et ne paraissaient pas ressentir la moindre fatigue.

Un pâle soleil éclairait la rocaille où les dernières fléoles frissonnaient sous la caresse d'un vent tiède, tandis que j'avançais au hasard en tentant d'apercevoir Achille et le troupeau, mais ils étaient loin.

L'après-midi s'écoula paisiblement, seulement troublé par une averse de pluie tiède qui fit grésiller les pins et rafraîchit l'air qu'un soleil couleur de vieil or avait réchauffé depuis le milieu du jour.