Hôtel de la gare,
la chambre bleue est occupée en ce jeudi après-midi.
L'origine du monde post-coïtal : Scène d'ouverture très crue (surtout pour l'époque, édition 1964) qui fait appel à tous nos sens : il y a de la couleur, de la chaleur, des ombres, des gouts, des sons, des odeurs, des fluides, des textures, tout est trivialement vivant, quasiment animal.
Un couple s'y désenlace à l'instant, encore bouillant de ses ébats adultères.
Mais tout ceci n'est que souvenirs, souvenirs à remettre en perspective au gré d'un interrogatoire dont on ne connaît pas la raison.
Que s'est-il passé après cet épisode de jouissance décomplexée ?
L'écriture est extrêmement moderne, découpée tel un scénario de cinéma qui enchevêtre les faits et, à distance, l'enquête menée on ne sait pourquoi mais qui ausculte la vie de Tony, lui.
Lui se sauve, les vêtements sous le bras car, à travers les volets mi-clos, il a aperçu son mari, à elle, qui, lascive encore et impudique toujours, garde le lit aux draps souillés.
Il part, il fuit, il s'éclipse, il quitte la scène dont on ignore de quel coup de théâtre elle va être le lieu.
Il n'a rien fait que de se sauver, croit-on.
Bien que focalisé sur le personnage de l'homme, le récit, par petites touches, par aplats impressionnistes nous dresse le portrait d'une époque révolue ou l'on entend le sifflet d'un train en manoeuvre ou le hurlement de l'enclume d'un maréchal ferrant tout en croisant des vieilles filles en devenir brossées rapidement en quelques mots simples ou des beaux parents cruellement familiarisés avec la bêtise la plus crasse.
Il est incarcéré, emprisonné, interrogé, soupçonné mais de quoi ?
Ce jeudi après-midi, il est parti, il est rentré chez lui, il a rejoint épouse et enfant puis il les a vus passer en 2cv, elle et son mari, alors ?
Bien sûr elle lui avait demandé ce qu'il ferait si elle se retrouvait libre, débarrassée de son mari, mais ?
Il nous semble découvrir les faits qui lui sont reprochés en même temps que nous, pourtant !
On saura tout de sa vie, à lui, Tony, que les policiers, juge ou psychiatre découperont en de multiples pièces de puzzle pour la reconstituer avec lui, sous son éclairage à lui.
Au milieu du livre, on ne sait toujours pas qui est mort mais la pression se fait forte et insidieuse comme un piège qui se ferme imperceptiblement, l'incompréhension aussi, et c'est tellement bien écrit.
A travers les interrogatoires auxquels Tony est soumis, on devine le climat qui règne au village, on entend gronder la rumeur qui enfle, on voit se détourner les regards sur son passage qu'il pense être des plus discrets, on sent le danger poindre, tous nos sens sont impliqués.
Et nous allons rester ainsi, tendus, tétanisés comme les muscles d'une grenouille que l'on soumet à un courant électrique jusqu'à la dernière page du livre, persuadés, en plus, que le verdict final n'est pas celui que nous aurions prononcé.
Du grand art, à tous les niveaux qui me fait écrire que je reviendrai, régulièrement, exhumer un vieux
Simenon qui n'est pas seulement le créateur d'un
Maigret que la télé en noir et blanc a un peu recouvert d'une fine couche de poussière.