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Citations sur Histoire (7)

… et alors tous ressurgissant monstrueux gigantesques ils seront là s'agitant parlant tous à la fois avec leurs orbites vides un trou noir à la place du nez leurs bouches édentées leurs mentons aigus cous de poulets noués d'un chiffon sanglant leurs combinaisons tabac flottant sur leurs squelettes leurs bras brandissant leurs armes rouillées farouches frustrés puis ils sombreront de nouveau s'enfonceront continuant encore un moment à gesticuler comme les passagers d'un navire lentement submergé disparaissant peu à peu dans les épaisseurs du temps et moi impuissant les regardant s'engloutir lentement s'effacer conservant l'image d'un dernier visage d'une dernière bouche ouverte sur un dernier cri un dernier geste un dernier bras s'agitant non pour saluer ou appeler au secours mais pour maudire et moi tout seul maintenant pensant comment ça devait être au même moment là-bas à Capri ou à Sorrente...
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Épigraphe :
"Cela nous submerge. Nous l'organisons. Cela tombe en morceaux. Nous l'organisons de nouveau et tombons nous-mêmes en morceaux." (Rainer Maria Rilke)
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Les ombres sur la vitre dépolie s'agitant cette fois d'une façon différente, le volume des voix à l'intérieur du bureau augmentant en même temps mais maintenant (quoiqu'il fût toujours impossible de saisir les paroles) se détendant pour ainsi dire, les deux interlocuteurs échangent sans doute à présent de ces banales formules qui terminent un entretien et les voix en profitant pour en quelque sorte se dégourdir un peu, s'ébrouer, s'ébattre, (...)
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visage [...] commençant déjà à prendre, avec ses pommettes saillantes avivées de rouge par une suprême coquetterie ou plutôt un suprême et orgueilleux défi, cette consistance de matière insensible ou plutôt rendue insensible à force de souffrance : quelque chose comme du cuir ou encore ce carton bouilli des masques de carnaval, Polichinelle à l'aspect terrifiant et risible sous le coup d'un irrémédiable outrage, d'une irrémédiable blessure, et elle - ou ce qui restait d'elle - retranchée derrière comme ce

type que je devais voir plus tard promené d'une baraque de prisonniers à l'autre tenu en laisse par deux nègres une brique pendue à l'aide de fils de fer sur sa poitrine avec l'écriteau J'ai volé le pain de mes camarades, et non pas un visage humain mais une chose : ce même masque grotesque fardé de violentes couleurs par les coups gluant de crachats impassible au-delà de toute souffrance et de toute humiliation lui marchant pour ainsi dire derrière la protection de ce visage qui ne lui appartenait plus non pas même ahuri comme ceux illuminés de rouge des clowns ou des ivrognes mais somnambulique parfaitement figé vidé ou plutôt déserté par toute vie, ce qui avait été au départ peur humiliation et honte n'ayant cessé peu à peu de s'amenuiser depuis le premier crachat la première gifle jusqu'au point sans doute où il faut choisir entre la fuite et la folie, et en apparence donc (le visage) aussi insensible que du bois (et sans doute pour les mains qui le frappaient d'un contact aussi décevant) mais lui en réalité provisoirement (ou définitivement) mort ou fou

pp. 64-65
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et une autre (photographie) prise d’en haut (d’une fenêtre, d’un toit ?), représentant une place, un carrefour, le croisement de deux avenues aux proportions monumentales et, au milieu du carrefour, comme un amas grumeleux et confus de petits bâtonnets noirs couchés sur le sol, tous dans le même sens et disposés en éventail (c’est-à-dire chaque bâtonnet orienté vers un même point invisible (à gauche et en dehors du champ de la photographie, où se trouvait — disait la légende — une mitrailleuse en train de tirer),
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et encore cette photographie d'un champ de bataille prise d'avion (pas la terre, le damier des prés, des labours, des bois : une étendue croûteuse, pustuleuse, comme une maladie du sol même, une lèpre, sous l'effet de laquelle les reliefs, les ravins, les tracés rectilignes des anciennes constructions auraient été pour ainsi dire gommés ou plutôt déglutis, attaqués par quelque acide, quelque suintement purulent) et qui illustrait une des dernières pages du manuel d'Histoire, comme si celle-ci (l'Histoire) s'arrêtait là, comme si la suite des chapitres avec leurs résumés en caractères gras à apprendre par coeur, la longue suite des images qui les illustraient (le bas-relief sur lequel on pouvait voir ce roi en robe longue, coiffé de son bonnet géométrique, barbu et méticuleux, crever de sa lance les yeux des captifs agenouillés, et la reconstitution des trirèmes romaines, et les Très Riches Heures du Duc de Berry, et le portrait de ce roi soupçonneux et fou apparaissant sous son chapeau de loutre entre deux rideaux, avec son nez pendant, ses sourcils glabres, ses yeux de pigeon cerclés de rose, et les marquis en bas de soie noire et perruque prêtant serment, et le tsar sur les quais de Toulon parmi les claquements de drapeaux, les messieurs à gibus et les salves jaune et rouge des canons) n'avaient été écrites, sculptées, peintes, gravées, qu'en vue de cette seule fin, ce seul aboutissement, cette apothéose : les étendues grisâtres, mornes, informes, sans traces humaines (même pas de cadavres, même pas l'évocation du cliquetis des armes, des galops, des charges, des éclats, des cuirasses) à la contemplation desquelles me ramenait une sorte de fascination vaguement honteuse, vaguement coupable, comme si elles détenaient la réponse à quelque secret capital du même ordre que celui des mots crus et anatomiques cherchés en cachette dans le dictionnaire, les lectures défendues, clandestines et décevantes

pp. 111-112
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l’une d’elles touchait presque la maison et l’été quand je travaillais tard dans la nuit assis devant la fenêtre ouverte je pouvais la voir ou du moins ses derniers rameaux éclairés par la lampe avec leurs feuilles semblables à des plumes palpitant faiblement sur fond de ténèbres, les folioles ovales teintées d’un vert cru irréel par la lumière électrique remuant par moment comme des aigrettes comme animées soudain d’un mouvement propre (et derrière on pouvait percevoir se communiquant de proche en proche une mystérieuse et délicate rumeur invisible se propageant dans l’obscur fouillis des branches), comme si l’arbre tout entier se réveillait s’ébrouait se secouait […] .
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