Je trépignais d'impatience avant d'entamer cette lecture. Tous les voyants étaient au vert : l'auteur (que je ne connaissais que de réputation et pour quelques textes courts), l'éditeur, les éloges de plusieurs grands journaux, et surtout le sujet : j'adore qu'on m'explique comment marche le monde et je suis un lecteur assidu d'essais en tous genres, en particulier ceux qui aident à prendre du recul sur ce que notre espèce est en train de fabriquer sur Terre : histoire globale, histoire environnementale, écologie, sociologie, etc.
Plusieurs gros défauts m'ont rendu la lecture difficile voire pénible.
Premièrement, chaque page est une avalanche de chiffres. Il faut préciser que j'ai moi même une tendance à tout penser en ordres de grandeur et que je trouve les quantités indispensables pour se représenter le monde. Mais elles ne sont utiles que pour comparer des choses et relativiser l'importance de tel phénomène vis-à-vis de tel autre ; elles ne font pas en soi une explication.
Deuxièmement, l'auteur ne s'intéresse pour ainsi dire qu'à la matérialité de notre économie. Cela donne un tableau pour le moins lacunaire de "comment fonctionne le monde" (n'attendez rien sur l'écologie, l'univers, l'évolution, et le reste du monde vivant). S'il ne s'agissait que d'un titre trompeur, pour un bouquin qui aurait pu s'intituler "comment fonctionne l'économie depuis un siècle ?", cela aurait été pardonnable. Sauf que même ce titre aurait en fait été trompeur : il ne s'agit pas seulement d'un écart dans l'étendue ou la temporalité du sujet traité ; il s'agit d'un mensonge sur la marchandise. L'auteur n'explique tout simplement pas comment "marche" le monde, ni la société, ni l'économie. Il ne présente aucune théorie, aucun récit, aucune hypothèse : seule une description brute de quelques flux physiques (ciment, acier, azote, plastique) sélectionnés pour leur ubiquité dans l'économie contemporaine. Finalement, le livre aurait dû s'intituler : "sur quelles matières s'appuient les principaux flux physiques de l'économie depuis un siècle?" - ce qui en soi est un sujet intéressant.
L'auteur se désintéresse entièrement des sciences humaines et prétend tout expliquer à partir de gigajoules et de mégatonnes. Comme si vous essayiez d'expliquer le comportement d'un humain à partir de son nombre de globules rouges et de ses calories ingérées, sans égard pour son cerveau et sa conscience.
Enfin, on assiste à une dangereux glissement entre l'observation du monde tel qu'il fonctionne, et les conclusions de l'auteur quant à la manière dont il devrait fonctionner. En bon scientifique réductionniste, l'auteur semble ne pas voir l'extraordinaire contingence derrière nos choix d'organisation politique et économique et semble les considérer aussi déterminés que des phénomènes régis par des lois physiques. Il en ressort un sentiment d'inertie conservatrice et de résignation face à l'absolue nécessité de réorienter nos choix de vie collectifs si on ne veut pas rendre la planète inhabitable pour des milliers d'espèces dont la nôtre.
(Je ne fais pas mention des arguments fallacieux adressés aux véganes, à qui reviendrait semble-t-il la responsabilité d'importer des tomates poussées sous serre en janvier à des milliers de kilomètres de leur lieu d'habitation).
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