Il fallait que je voie les visages de ces hommes qui venaient de me donner tout ce qu'ils avaient. Des hommes qui ne savaient rien de moi et qui pourtant m'offraient tout. Et je fus frappé par le fait que, même en des temps aussi durs, il pouvait exister de brefs moments de douceur qui nous élevaient au-dessus de la fange et de la mort.
Même les gens bien peuvent faire le mal.
Toutefois, même si je connaissais les défauts de ces officiers qui nous forçaient à livrer une guerre inutile, je n’avais jamais accepté leur massacre par les révolutionnaires, car tout homme prêt à se battre pour ses convictions continuait de mériter mon respect. Voir une centaine d’individus comme Dimitri s’attaquer à des officiers, qui avaient fait don de leur vie à leur patrie et méritaient à tout le moins de mourir au champ d’honneur, ne correspondait pas à ma vision de la justice.
La détention d’une arme non autorisée était même devenue un crime passible des travaux forcés. C’était un moyen très efficace de mater les paysans – en les privant de leurs armes, on leur ôtait toute capacité de résistance. La tâche des autorités chargées de mener la collectivisation à marche forcée en avait été grandement facilitée. Mais cet homme, comme moi, avait gardé les siennes, ce qui renforçait ma conviction qu’il s’agissait d’un ancien combattant. Car, quelle que soit l’armée au sein de laquelle il avait servi, notre histoire récente était tellement saturée de guerres et de violences qu’aucun vétéran n’aurait rendu ses armes de son plein gré.
Viktor secoua la tête, ferma les yeux. Quand il les rouvrit, j'y vis de la colère, de la douleur et du chagrin - des émotions mêlées en un brouet de violence toxique.
Même les hommes méchants peuvent faire le bien.
Il suffirait qu’ils nous frappent assez longtemps pour qu’on leur raconte n’importe quoi. Pour qu’on avoue tout ce qu’ils veulent. Pour qu’on dénonce nos voisins. Et on se contente de rester ici et de se laisser traiter comme des chiens.
— Même les hommes bien peuvent faire le mal.
Il fallait que je voie les visages de ces hommes qui venaient de me donner tout ce qu'ils avaient. Des hommes qui ne savaient rien de moi et qui pourtant m'offraient tout. Et je fus frappé par le fait que, même en des temps aussi durs, il pouvait exister de brefs moments de douceur qui nous élevaient au-dessus de la fange et de la mort. Ces actes infimes nous permettaient de rester humains, de garder notre capacité de confiance en l'autre. Il subsistait encore un peu de bonté dans ce monde.
Je suivis le fouillis d'empreintes en prenant soin de rester à l'écart, alors que mes prédécesseurs, eux, avaient marché directement dans celles de Dariya. Les peupliers étiraient leurs longues ombres noires sur la steppe enneigée, et je me demandai pendant mon ascension ce que les hommes avaient pu découvrir là-haut.