Le Village

Je vivais auprès de ces gens depuis la fin de la guerre civile, mais je les reconnaissais à peine. Ce n’étaient plus des hommes ni des femmes ; c’était une meute de fauves, féroce et bestiale.

On se connaît depuis assez longtemps pour se dire les choses franchement. Tu crois sans doute être un livre fermé, mais certains d’entre nous ont appris à lire en toi mieux que tu ne le penses.

Les gens avaient tellement faim que les semences étaient dévorées au lieu d’être mises en terre. Les animaux d’élevage avaient tous été équarris, de même que les chiens, les chats et autres bestioles susceptibles de fournir un peu de viande. Les gens se jetaient sur tout ce qui paraissait mangeable parce que leurs caves et leurs ventres étaient vides

Nous sommes encore des êtres humains. Quoi que nous fassions, quoi que nous voyions, quoi qu’il arrive dans ce pays, il ne faudra pas l’oublier. Nous sommes encore des êtres humains. Il ne faudra jamais l’oublier. Parce que si nous oublions ça, tout sera perdu.

Ce pays est passé par des moments – pendant les guerres, la famine – où les gens mangeaient tout ce qu’ils pouvaient. Et il y a aussi des gens méchants. Des gens qui ont oublié ce que c’est que d’être humain.

Le chagrin envahit tout. Si on le laisse faire, il peut annihiler les pensées, consumer les émotions jusqu’à ce que plus rien d’autre n’existe. Incontrôlé, il empêche toute réflexion lucide et peut mener un homme au bord de la folie.

Rouges, blancs, noirs ou verts, ils ne s’étaient battus que pour accroître leur pouvoir sur les gens ordinaires. Pour les priver de leurs possessions et continuer jusqu’à ce qu’il ne leur reste plus que la peau sur les os. Une seule chose comptait désormais pour moi, sans distinction de couleur ou d’idéal : protéger ma famille.