L'Espagne de la réalité n’est pas l’Espagne des romances et des sérénades, dont le romantisme a hanté nos esprits comme une vision rieuse de jardins parfumés, de balcons s’entr'ouvrant le soir aux plaintes des guitares, de clairs de lune amoureux glissant leurs clartés caressantes le long d’architectures aux profils fantastiques, de toute une immense et calme nature poétique, fleurie de lauriers-roses et peuplée de baisers.
Cette impitoyable constance, cette volonté aveugle d'un art qui s’enferme ainsi dans des limites étroites et qui n’en sort point, et dont toutes les manifestations, poussées d’un même élan, concourent au même but, a suffi pour créer véritablement aux peintres espagnols une originalité, et cette originalité perce jusque dans leurs imitations des styles étrangers; presque tous, voire les médiocres, en portent des traces indéniables. Et voilà justement le signe caractéristique que nous indiquions plus haut et qui arrive à faire distinguer l'« école espagnole », au milieu des influences dont elle est assaillie, de l’école italienne, avec laquelle elle se serait peut-être, sans cela, complètement identifiée.
Entre Burgos et Madrid, au sein de campagnes monotones où croissent l’érable et la bruyère, quels sont ces remparts flanqués d’une forêt de tours et de moucharabys, et intacts comme s’ils venaient d’être fraîchement élevés? C’est Avila. Une de ces villes du Moyen-Age, telles qu’on en voit sur les miniatures des anciens missels, dans toute sa naïve intégrité, avec ses ruelles plantées de cailloux pointus, ses palacios en granit brun du pays, ses églises en pur style roman ou ogival de la meilleure époque, sa cathédrale qui, au dehors, a l’allure fière d’une forteresse et, au dedans, l’obscurité glaciale d’un tombeau.
Et pourtant, dans cette humble et caractéristique localité, le progrès a fait une irruption soudaine, éclatante, terrifiante... Irun est éclairé à la lumière électrique ! Irun n’a pas connu le gaz ; ses lanternes recèlent encore les petites lampes fumeuses qui lui donnaient anciennement la lumière... Irun a passé directement, sans transition, d’un bond, de l’huile à l’électricité!
Malheureusement, la réforme n’est pas complète. Irun a supprimé l'huile dans ses lampes, mais il l'a conservée dans sa cuisine.