Une histoire étrange et captivante.
Lu il y a plusieurs années, c'est la deuxième oeuvre de Somoza que j'ai lue, après
La Caverne des idées, pour ensuite en dévorer toute la production !
Clara et la pénombre est un roman contemporain, de l'écrivain
José Carlos Somoza, né à La Havane en 1959. Il a cependant vécu la plus grande partie de sa vie en Espagne. Il est diplômé de psychiatrie. Eh oui, ceci explique cela, vous comprenez si vous connaissez se écrits ! Il dit lui-même que tous ses romans ont le mystère et le jeu en commun.
Pas de Spoil dans cette critique.
L'action se situe en 2006. L'Art a changé. Aujourd'hui, l'art HD, pour HyperDramatique, est devenu l'art dominant, les oeuvres des peintres HD s'arrachent à prix d'or, et les simples peintures sur toiles sont devenues totalement has been.
Des toiles humaines sont apprêtées, peintes et exposées. C'est un métier. Des enfants, des adultes, des femmes, des hommes sont exposés, le plus souvent nus.
Différents courants existent, plus ou moins orthodoxes, plus ou moins violents, plus ou moins interactifs et plus ou moins légaux...
Toute une économie, tournant autour de la sécurité, du bien-être, de la vente et de l'entretien des toiles vivantes est née.
Mais une toile vivante du célèbre peintre HD Bruno van Tysch, Annek Hollech, est assassinée (détruite ?) de manière particulièrement sadique (mais peut-on parler de sadisme en parlant de la destruction d'un tableau ?).
Quoi qu'il en soit, elle ne sera pas la première. Un ou des tueurs très malins semblent vouloir faire passer un message aux peintres HD et à leur microcosme.
Clara de son côté veut devenir une célèbre toile, un original, peinte par un grand maître. Ce moment semble être arrivé et elle est prête à tous les sacrifices.
Ce roman est à la fois un roman policier, un thriller haletant, un roman presque philosophique et une réflexion sur l'art, la nature humaine et la relation qui existe entre ces derniers. le pouvoir de l'argent et la manière qu'a chacun d'appréhender la vérité sont aussi des thèmes omniprésents.
On ne peut nier sa dimension très dure, les images et les situations qui ne sont parfois que suggérées peuvent être choquantes.
Quelqu'un de très sensible serait à mon avis au bord de la nausée à lire certains passages, surtout au début du livre, car c'est un univers tellement particulier qu'il demande à ce qu'on s'y habitue, qu'on s'y plonge et qu'il devienne notre.
Ce roman est violent, surtout sur le plan psychologique, et surtout dans la première moitié du livre. Il peut être perçu éventuellement comme érotique, puisque la nudité est omniprésente. Et enfin, certains le trouveront sans doute malsain, mais ce n'est pas la sensation que j'ai moi-même éprouvée.
C'est sublimement bien écrit (et bien traduit), un vocabulaire précis et bien choisi. Un décor planté de main de maître : on en apprend au fil des pages de plus en plus sur l'univers de l'art HD dans lequel l'auteur nous plonge.
La Fondation qui gère les intérêts du grand peintre Bruno van Tysch est délicieusement effrayante.
L'action se situe en 2006. Je crois que c'est à la fois secondaire et significatif. Secondaire, parce qu'il fallait bien situer l'action, et qu'aucun accent n'est mis sur l'année qui se déroule. Mais pourquoi une date si proche ? le roman a été publié en 2001, donc écrit peu de temps auparavant.
Je crois que l'auteur veut nous faire prendre conscience que des dérives sont vite arrivées, que ce qu'il dépeint n'est pas improbable.
De plus cela offre l'avantage de se sentir proche de l'univers qui est décrit dans ce roman, ce qui est à la fois rassurant et très inquiétant.
Certains codes, certains gadgets décrits paraissent si saugrenus que l'action semble lointaine et invraisemblable. J'ai d'ailleurs à plusieurs reprises pensé à l'Univers d'
Asimov, célèbre auteur de science-fiction, à cause des matériels parfois employés, de la Fondation tentaculaire et presque omnisciente à certains moments…
Mais l'instant d'après, une situation familière, un endroit, un objet nous ramènent à la réalité et on comprend de nouveau que le monde de Clara est aussi le nôtre, en tout cas il le pourrait.
Les personnages ont tous une personnalité propre, la manière de les présenter est toujours virtuose. Clara, la toile, ne commence à prendre une proportion humaine que vers le milieu du roman. Avant, sa manière d'être, d'agir et de parler la situe dans le registre des tableaux, d'une chose vraiment mi-humaine, mi-objet. C'est la peur qui lui fait prendre dimension humaine.
Les autres personnages, Lothar Bosch en prise avec sa conscience, Melle Wood pathétique et froide, le peintre van Tysch à peine humain,
Paul Benoît hypocrite et calculateur…et bien sûr les toiles humaines, tous sont brossés de manière magistrale.
On baigne continuellement dans les champs lexicaux des couleurs, des formes et de la peinture et des arts plastiques, c'est un enchantement à lire. Parfois tout un paragraphe peut être lu soit au premier, soit au second degré, celui de la création, c'est extraordinaire.
Et bien sûr l'histoire est très prenante, entraînante et multi facettes. le côté policier prend davantage d'importance à partir des 2/3 du roman, moment à partir duquel on a de plus en plus de mal à décrocher !
(Lien vers une critique que j'avais écrite à l'époque sur un autre site, dont j'ai ici repris l'essentiel.)
Lien :
http://www.ciao.fr/Clara_et_..