Comme on le sait, nombreuses ont été les tentatives de se saisir du personnage de
Sherlock Holmes pour tenter d'ajouter à sa légende. Dans la production récente, je citerai volontiers les livres de
James Lovegrove - qui s'amuse, avec un talent certain, à mêler le canon holmésien et
le mythe de Cthulhu, cher à
Lovecraft. Somoza s'essaye à son tour à l'exercice, dans le cadre d'une trilogie, dont le second volume est déjà paru en espagnol. Je spoile un peu en annonçant que ce second tome tournera autour du personnage de
Lewis Carroll.
Disons le tout de suite, cette tentative est une franche réussite. le parti pris est à peu près celui de l'excellente série télévisée Les mystères de
Sherlock Holmes, avec Ian Richardson dans le rôle du Dr Bell. C'est à dire que l'on nous donne à voir un modèle possible du célèbre détective. Ici,
Monsieur X, un supposé aliéné dans une maison de repos pour gentleman fortunés. Je ne dévoilerai pas l'intrigue qui repose en partie sur le thème de l'hypnose suggestive, en partie sur le jeu d'échecs. Elle pourra apparaître un peu complexe à certains et il faut faire de fréquents retours en arrière pour retrouver le fil précis. Sachez tout de même que ce roman un peu lent se termine par trois formidables twists, qu'on ne voit absolument pas venir. J'ai bien dit trois.
Mais le charme du roman est ailleurs. Il repose avant tout sur la peinture très réussie des principaux personnages et en particulier sur le « couple » formé par M. X et son infirmière, Anne McCarey. Une variation assez subtile sur le duo Holmes / Watson.
Somoza s'amuse bien sûr à placer ici et là des éléments très classiques du canon, en les détournant : le violon, les enfants informateurs, l'obsession pour des détails en apparence secondaire, la théorie du grenier - ici enrichie d'un palais de la mémoire. Et bien entendu la fameuse phrase sur l'impossible et l'improbable. Sans oublier l'ombre portée du professeur Moriarty (le chef des dix est un M.M, professeur de son état).
Mais son M. X est suffisamment original et mystérieux pour ne pas être qu'un pastiche. Et il doit d'ailleurs presque plus au chevalier Dupin, celui de la lettre volée, qu'au locataire de Baker Street.
Quant à Anne McCarey, c'est un très beau personnage féminin, en quête de liberté et d'indépendance dans une société plus que patriarcale.
L'autre intérêt du roman est sa peinture au vitriol d'une société victorienne engoncée dans une formidable hypocrisie et un système de classe rigide et injuste. Somoza retrouve ici quelques accents à la Dickens.
Et enfin, il y a le thème du théâtre qui innerve tout le roman - à la fois dans sa fonction première de spectacle divertissant mais aussi dans des dimensions symboliques et métaphoriques plus inquiétantes. J'en profite pour préciser que ce roman, qui n'est pas avare du mot « scandaleux », comporte un certain nombre de scènes et d'évocations qui pourront choquer certains lecteurs. En clair, l'époque victorienne ne protégeait pas spécialement les enfants de toutes sortes d'agressions.
En conclusion : un très bon roman, d'ambiance presque gothique, qu'il faut prendre le temps d'apprécier et qu'on goutera d'autant mieux si l'on connait bien le canon original.