L‘enquête est ici menée par un détective privé de cinquante-neuf ans, au nom difficilement prononçable pour la francophone que je suis, Varg Veum, buveur invétéré depuis qu'il a perdu sa compagne Karin trois ans auparavant et qui carbure la journée entière sous les vapeurs d'eau-de-vie d'aquavit. Un homme qui s'est de fait marginalisé de la société, et sur le point de perdre ce qui lui reste encore de dignité: son métier. de plus en plus délaissé par sa clientèle, l'appel au secours de Maja Misvaer résonne comme une ultime chance, une chance inespérée pour se tirer du bourbier dans lequel il s'est enlisé au fil des années: bref, rien de vraiment nouveau sous le soleil. le reste de l'intrigue n'est d'ailleurs pas plus révolutionnaire: une fillette disparue alors que sa mère était occupée ailleurs, un couple qui finit fatalement par se séparer, un lotissement ordinaire avec ses maisons toutes identiques où les couples entretiennent tous des relations de bon voisinage, une première enquête menée à bien avec ses suspects habituels sans qu'il n'y ait en fin de compte aucune arrestation. Bien évidemment, il faut repasser sur les traces des premiers enquêteurs, évidemment il faut chercher à aller plus loin que ce qui a été fait trente ans auparavant, et évidemment c'est notre homme qui mènera les investigations là où la police a bien été incapable d'aller. Ce n'est clairement pas là le point fort du roman.
En revanche, et malgré un scénario qui se révèle bien prévisible à première vue pourtant, le dénouement vous surprendra surement, l'auteur a réussi à monter son histoire de manière à ce que le lecteur ait le temps de passer en revue toute la panoplie de suspects possibles sans jamais dénouer tous les fils de l'intrigue. Remonter plus de vingt ans de vie ne s'avérera pas être chose facile, d'autant que dans le quartier, la plupart des couples ont divorcé et ont quitté la maison qu'ils occupaient. Varg Veum va devoir remonter le cours du temps, retrouver des individus qui ont continué à vivre loin de là et surtout faire remonter les souvenirs, raviver des mémoires, d'individus qui n'y tiennent pas forcément. Au départ de ce qui semblait être une communauté unie, qui s'entendait plutôt bien, jusqu'à organiser régulièrement des dîners ensemble devint une communauté à l'entente brisée par la disparition d'une petite fille, dans l'incapacité de surmonter ce traumatisme, isolant non seulement les foyers les uns des autres mais aussi les individus eux-mêmes au sein de chaque couple. La disparition de Mette a eu le même effet qu'un coup de poignard à cette communauté, rongée par un mal plus profond. Ce n'est pas seulement de l'explosion d'une famille dont il est question mais de plusieurs foyers, les familles qui gravitaient autour des Misvaer, qui entretenaient des relations particulières. Bien du monde est touché, de façon indirecte, par le malheur de ces parents et par ce sentiment résultant de cette tragédie et illustré par ces bons vieux clichés, ces lieux communs qui n'ont jamais été plus douloureusement vrais qu'à ces instants, que la vie peut s'écrouler en un instant, qu'il faut profiter de ceux qui nous entourent tant qu'il est encore temps.
Ce roman narre également cette terrible impossibilité pour un parent de renoncer à cet enfant disparu, disparition plus insupportable que la mort même. Cette impossibilité de faire son deuil et la sensation de voguer éternellement entre deux réalités, l'une à jamais éteinte, l'autre intenable et insupportable. La disparition de son enfant comme destruction du couple, destruction de sa vie pour la mère, d'un amour conjugal qui s'est définitivement évanoui. Dans ce roman, la mère de Mette n'est pas la seule à perdre son enfant, il y a d'autres mères qui se trouvent déposséder de leur progéniture. Chaque femme, chaque mère trouve une manière à elle de supporter l'absence de l'enfant, se débrouillant tant bien que mal pour continuer à vivre, à survivre. Notre détective lui-même divorcé de Beate la mère de son fils, Thomas, qu'il ne voit que trop rarement, compagnon inconsolable de sa dernière maîtresse en date, apparaît comme ces mères orphelines, malmené, englué dans une vie qu'il ne maîtrise plus depuis longtemps, et dont il a bien du mal à reprendre le contrôle. J'ai vraiment eu l'impression à travers ce roman policier qu'à partir du moment où les individus perdent le contrôle de leur vie, se retrouvent projetés dans une douleur et un monde, sans enfant, sans compagne, dont ils ne veulent pas, il leur devient quasi-impossible de se raccrocher plus tard à cette vie, de reprendre le cours de l'existence en lui donnant un sens nouveau.
Même si ce roman véhicule pas mal d'individus à la lisière de leur vie, qui ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes, même s'il véhicule une conception assez pessimiste sur la nature individuelle des différentes personnalités qui constituent notre société,
Gunnar Staalesen nous laisse tout de même une lueur d'espoir au milieu de cette vision bien sombre du monde. Certes, les couples se dissolvent, l'amour ne dure pas, les enfants disparaissent, se droguent, ratent leur vie, les conjoints disparaissent, le dénouement ne reste malgré tout pas si négatif que cela, je n'en dis pas davantage – à vous de le découvrir – Varg Veum commence à prendre le dessus sur son addiction.
Au-delà de la disparition de Mette, ce roman riche en personnages secondaires conte donc l'échec de vies de plusieurs individus, la façon dont ils parviennent – ou pas – à essayer de se raccrocher à ce qu'il reste de leur existence, qui se réduit bien souvent à presque rien il faut le souligner, ou la façon dont ils se précipitent tout droit dans le mur. Les difficultés à se remettre d'un divorce, d'une disparition, de la mort d'un proche, presque tout le monde est touché à sa manière et personne ne le vit de la même façon. Il est intéressant de voir comment la disparition d'une fillette peut se répercuter sur la vie de personnes qui pourtant n'avaient aucun lien familial ou sentimental avec elle. Chez l'auteur norvégien, les erreurs et les coups du sort se paient très cher, personne ni même le lecteur, ne ressortent indemne de ce drame en plusieurs actes. Bouleversant!
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