Aller ou l'espoir semble permis,
meme en enfer.
Surexploitée, la terre s'en va. Les hautes herbes de la prairie ont du faire place aux champs, et leurs racines ne retiennent plus le sol. le coton, avide d'eau et d'humus, épuise cette terre qui, peu à peu, devient sable, devient poussière. le vent l'emporte,,, Pendant les années 1930, le Midwest américain est régulièrement balayé par ces tempêtes de sable, agrémentés de tornades et d'orages, qui recouvrent les maigres récoltes d'une poussière rougeâtre : on se croirait sur Mars.
Le Midwest, c'est là qu'il y a deux ou trois générations, des paysans venus de l'est, venus d'Europe, se sont installés sur ces terres fraîchement arrachées aux indiens. L'homme ayant la mémoire courte, trop courte, ils croient y avoir vécu depuis des temps immémoriaux, et toujours comme ils le font encore : les mules, la charrue, des petites exploitations familiales qui vivent largement en autarcie, vendant ce qu'ils ne consomment pas contre des vêtements, des semences, engrais et outils. Les années de poussière et de sable, le “dust bowl”, les mettent à genoux : ils n'ont pas assez de réserves pour faire face. Alors ils s'endettent, mettant en gage ce qu'ils ont, c'est à dire la terre. Quelques mauvaises récoltes de plus, et les banques saisissent la ferme. Pour en faire quoi ? Consolidant ces entreprises familiales en immenses propriétés, travaillées par des techniques industrielles – les banques ont de quoi investir – on en fera encore quelque chose, pense t-on. Alors il faut s'en aller; quitter ce qui a été toute sa vie, même son histoire ancestrale. Trouver un endroit où travailler la terre – on n'a jamais rien fait d'autre – en espérant, qui sait, économiser de quoi s'acheter un lopin et recommencer.
Dans Les Raisins, nous suivons la famille Joad, jetée de sa terre, en route de l'Oklahoma vers la Californie, espérant y trouver un travail et un nouveau départ. Mais c'est un départ en aveugle. La Californie n'est pas ce que l'on croit. le processus de concentration des fermes y est bien plus avancé qu'en Oklahoma. Quelques grands barons, et quelques banques, se partagent les terres arables de l'état. Tout est verrouillé. C'est une armée humaine, un flot de réfugiés économiques, qui va d'un fief à l'autre, traînant ses haillons, espérant survivre – on ne sait comment – jusqu'à la prochaine récolte, la prochaine paie. La misère, la maladie, la mort même sont au rendez-vous.
Steinbeck écrit ce roman en 1939, l'année où il signe une lettre approuvant l'invasion de la Finlande par l'URSS. Dans les années 1930, John a de fortes sympathies communistes, après-guerre il ira jusqu'à devenir un ami personnel de Lyndon B.Johnson. le cheminement d'un homme est une itinérance très personnelle où il ne faut pas toujours soupçonner l'intérêt et le calcul. Mais c'est donc bien un schéma tout à fait marxiste qui structure le roman : accumulation du capital, polarisation de la société, rôle abject de la petite bourgeoisie, séparation du prolétariat militant et de la masse du “lumpenproletariat”, lutte, martyrs...
Je retrouve ici ce style simple, dénué, “journalistique” qui m'avait déjà déplu chez
Hemingway, On croirait avaler du yaourt 0% . Alors, 640 pages, c'est long..
Malgré cette petite réserve, et le positionnement très explicite de l'histoire dans le lit de Procuste du bon Karl, j'ai trouvé un roman fort, un narrateur qui a quelque chose à dire et qui ne manque pas son occasion. Ce ne sont pas des belles lettres,non, mais c'est assurément de la grande littérature : une épopée moderne.