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EAN : 9782070360833
640 pages
Gallimard (09/05/1972)
4.47/5   6296 notes
Résumé :
Traduit par Charles Recourcé

Le soleil se leva derrière eux, et alors... Brusquement, ils découvrirent à leurs pieds l'immense vallée. Al freina violemment et s'arrêta en plein milieu de la route. - Nom de Dieu ! Regardez ! s'écria-t-il. Les vignobles, les vergers, la grande vallée plate, verte et resplendissante, les longues files d'arbres fruitiers et les fermes. Et Pa dit : - Dieu tout-puissant ! ... J'aurais jamais cru que ça pouvait exister, un p... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (454) Voir plus Ajouter une critique
4,47

sur 6296 notes
Juste un mot : SUBLIME !
Une fois n'est pas coutume, je vais essayer de faire court car il n'y a pas grand chose à dire si ce n'est : « Chapeau l'artiste ! »
Imaginez : Vous vivez de la terre en pleine période de crise (Dust Bowl + dépression post 1929* — voir le premier P.S. au bas de cette critique si vous souhaitez quelques informations sur le contexte) dans un sale Oklahoma qui refuse d'offrir de bonnes parcelles.

Vous êtes endetté auprès des banques au point de devoir quitter votre terre pour honorer vos créances (je vous conseille à ce propos, si vous ne le connaissez déjà, L'Argent Dette sur Dailymotion ou Youtube). Où allez vous ?

Là où tout le monde vous dit que c'est mieux ; la Californie, l'Eldorado en quelque sorte (pour mémoire, voir L'or de Blaise Cendrars).

Ouais ! La Californie... et toutes les misères qui vont avec et que vous pouvez vous figurer (du garagiste véreux, aux super propriétaires, toujours prêts à faire travailler à l'oeil une main-d'oeuvre en souffrance).

Ce livre dépasse de loin les frontières des États américains, c'est une allégorie de l'immigration en général. Les Africains, Sud-Américains, Asiatiques qui arrivent péniblement au fond d'un container, sur un radeau ou par quelque autre moyen sommaire et dangereux en Europe ou dans n'importe quelle autre terre soi-disant "promise" doivent vivre à peu près la même chose que les Joad des années 30 aux États-unis.

La magie de Steinbeck, c'est une écriture juste, basée sur un chapitre d'ordre général directement suivi par la mise en situation pour les infortunés Joad. du zéro faute littéraire, un monument de littérature, probablement le plus grand roman du XXème siècle et il s'est même permis le luxe de laisser poindre "le vin de l'espoir" derrière "les raisins de la colère".

Chapeau l'artiste ! même si ça commence à faire beaucoup de fois que je l'écris, ce ne sera jamais de trop, du moins c'est mon minuscule avis, qui se balance comme une feuille roussie désespérément accrochée au rameau dans un matin gris de novembre, autant dire, pas grand-chose.

P.S. 1 : le phénomène du Dust Bowl — littéralement le « bassin de poussière » — est un phénomène à la fois climatique et anthropique d'une ampleur exceptionnelle qui toucha plusieurs états des États-Unis durant environ une décennie, de 1932 à 1941, dont le coeur se situait, principalement, sur une zone équivalant à peu près à la moitié de la France métropolitaine.

(Les principaux états touchés furent l'Oklahoma, le Texas, le Nouveau-Mexique, le Colorado et le Kansas, même si bien d'autres états furent eux aussi touchés plus ponctuellement au cours de la période, comme le Nebraska, les Dakota du Nord et du Sud, le Wyoming ou encore l'Iowa, par exemple, ce qui représente au total une superficie comprise entre deux et quatre fois la France métropolitaine, en fonction des épisodes tempétueux considérés, notamment, le pire d'entre eux, survenu le 14 avril 1935.)

Il s'agit d'une très vaste zone de plaine située directement à l'est des montagnes Rocheuses. Historiquement, la végétation qui s'y maintenait était de la prairie, dans laquelle paissaient d'immenses troupeaux de bisons. L'absence naturelle d'arbres dans toute cette zone aurait pu ou aurait dû retenir davantage l'attention des nouveaux agriculteurs venus s'installer sur ces terres à la fin du XIX et au début du XXè s.

Labourer ces terres, retirer les plantes herbacées qui maintenaient le sol fut, dans un premier temps — c'est-à-dire des années 1900 à 1930 —, relativement sans conséquence sur la productivité agricole, de sorte que de nombreux agriculteurs pauvres, désireux de devenir propriétaires investirent sur cette zone, notamment dans les années 1920 où les prix des denrées agricoles étaient élevés après la Première guerre mondiale, et le travail de la terre, rendu plus aisé par la mécanisation.

Cependant, une zone semi-aride, puisque c'est ce qu'elle est, reste une zone semi-aride ; et en tant que zone semi-aride, elle est sujette aux épisodes de sécheresse. Jusque là, rien à dire, rien qui ne soit autre que naturel, même si l'intensité et la durée de ladite sécheresse furent exceptionnelles. En revanche, ce qui n'est pas naturel, c'est que le vent quasi permanent qui arrive des montagnes Rocheuses rencontre d'immenses zones de terre dénudées.

Et là, ce furent des millions, des milliards de tonnes de poussière qui furent arrachées aux sols et mis en suspension dans l'air. Voilà qui est entièrement imputable aux hommes et aux techniques productivistes de l'époque.

Ajoutons à cela le prix des denrées agricoles qui s'effondrèrent du fait même du crach boursier d'octobre 1929, une crise économique qui s'installa pour longtemps, doublée d'une crise climatique d'une longueur, d'une intensité et d'une fréquence hors du commun, jamais vue ni avant ni après en ces lieux et, durant presque dix ans, des récoltes quasi nulles.

Il faut imaginer des coups de tabac à répétition soulevant d'inimaginables nuages de poussière noirs et opaques, hauts comme des montagnes, sur des distances de parfois 300 km, capables d'occulter toute lumière en plein midi, capables d'accumuler suffisamment de sable pour faire disparaître votre maison en une fois sous une dune monumentale, capables de vous abraser les jambes si vous êtes dehors les jambes nues, capables de vous faire avaler tellement de poussière que vos poumons s'en trouvent emplis et que vous pouvez en succomber.

Ajoutons à cela de larges abus de la part des secteurs bancaires et fonciers, et l'on comprend mieux pourquoi des millions de personnes furent d'un coup dépossédés de leur moyen de subsistance, écoeurés de leur lopin de terre, et, de ce fait, jetés sur les routes en quête d'un nouveau gagne-pain.

P.S. 2 : même si j'aime assez le film de John Ford de 1940 (donc un an seulement après la sortie du roman), c'est peu dire qu'il est très en-dessous du livre. Vu la densité et la longueur du roman, le réalisateur a choisi de se focaliser sur certains tableaux, il fait notamment l'ellipse de toute la descente aux enfers que constitue le trajet depuis l'Oklahoma jusqu'à la Californie, qui est, personnellement, ce que j'aime le mieux du livre (même s'il m'est difficile de prétendre qu'il existe des endroits que j'aime moins dans ce livre car j'aime absolument tout). Ce film vaut surtout pour l'illustration très réaliste et contextuelle qu'il procure de l'oeuvre de Steinbeck.

N.B. : ce livre est évidemment à l'origine du superbe titre de Bruce Springsteen : The Ghost Of Tom Joad.
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Il y a d'abord le sentiment d'échec, la culpabilité, le regard sur ce qu'on a perdu, puis le départ. Départ vers une autre vie, une vie meilleure, la promesse d'un eldorado. On se retourne alors une dernière fois vers la terre qui nous a vus naître. le voyage interminable, les premiers morts, la faim, le froid… Mais on y croit toujours parce qu'on a vu les tracts qui promettaient un travail avec un bon salaire. Même si une petite voix nous dit que ce n'est pas normal tous ces gens qui partent dans la même direction. Chacun avec ses rêves dans la tête, tient bon. Puis l'arrivée, la descente aux enfers, la faim, le froid. Pas de maison, peu de travail et le salaire qui ne permet pas de manger à sa faim. Des morts, encore des morts. La cruelle vision des gens du nouveau pays qui ne nous acceptent pas mais qui ont besoin de nous pour le travail. L'inacceptable réalité et l'impossible retour. Alors notre mère qui a toujours tout accepté sans broncher va devenir la citadelle de la famille motivant les uns, câlinant les autres. Mais rien n'y fait, la misère est à nos portes, la désillusion, encore la mort… L'acceptation puis la colère.

Un récit bouleversant mais terriblement réaliste. Une prose sublime sur la crise de 1929 aux Etats- Unis qui me rappelle insidieusement la crise de notre monde moderne. Une chose n'a pas changée, les banques ont toujours le pouvoir ! Un roman à lire ou à relire, c'est grandiose. A prescrire à tous les intolérants de la Terre.
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Une lecture d'une intensité dramatique extraordinaire !
Je comprends en refermant ce livre les qualificatifs de chef d'oeuvre ou encore de monument de la littérature Américaine associés à cette oeuvre.
Ce roman a pour cadre la "Grande Dépression" des années 1930 aux États-Unis.
La famille Joad, métayers depuis plusieurs générations, se voit expulsée de sa ferme et se retrouve sans ressources.
Convaincus comme des dizaines de milliers d'entre eux qu'il est possible de refaire leur vie en Californie, les Joad vendent leurs maigres biens et quittent l'Oklahoma pour un long périple vers l'Eldorado dont ils rêvent.
La structure, la construction de ce roman est brillante en ce sens qu'un chapitre sur deux est documentaire et nous instruit chronologiquement de la situation économique et sociétale de l'époque.
Et dans un chapitre sur deux, nous suivons parallèlement la progression déterminée des Joad vers la Californie qui synthétise tous leurs espoirs, vaillants et durs au mal comme ils le sont, trouver du travail et refaire leur vie est une simple évidence.

Ce qui rend ce récit si poignant c'est qu'il s'agit d'une histoire qui a été vécue par une multitude d'Américains, c'était il y a 90 ans et c'était hier ou presque et surtout c'est vraiment arrivé.
Ce qui donne une telle force à ce roman c'est que l'on sait inconsciemment, dans ses tripes, que cela pourrait se reproduire tant les causes de cette misère sont toujours à l'oeuvre un peu partout dans le monde qui est le nôtre.
Ce qui sidère le lecteur, c'est l'implacable logique de cet engrenage qui broie l'humain et fait voler en éclats les principes les plus essentiels, notamment ici dans un pays qui "a de la religion", un paradoxe qui ne manque jamais de m'interpeler régulièrement car il semble que les leçons de l'histoire ne soient pas retenues ici comme ailleurs.
Ce qui est évident, c'est que ce récit nous instruit sur les méfaits du capitalisme et du profit à tout prix plus que n'importe quel documentaire ou étude car ce drame nous touche au plus profond.
Le ton est tellement juste, les émotions retranscrites tellement vraies, que j'ai vécu cette lecture avec beaucoup d'intensité, bien qu'écrit en 1939, le style est toujours d'actualité, puissant et sobre.
Pour conclure je dirais qu'il s'agit d'un classique que je suis heureux d'avoir lu !
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Steinbeck a dit qu'il ne méritait pas le prix Nobel de littérature qui lui a été attribué en 1962. Dans ce cas, à mon avis, beaucoup ne l'ont sans doute pas mérité. Quand bien même il n'aurait écrit que ce chef d'oeuvre, il ferait partie des plus grands.
En tout cas ce titre est allé étoffer ma liste de livres pour une ile déserte ; celle ci changera sans doute au fil du temps mais il ne sera pas parmi les premiers à devoir céder sa place.
Dès les premières lignes, j'ai été époustouflée par la qualité de la prose de Steinbeck. J'avais lu il y a très longtemps Des souris et des hommes mais je n'ai pas souvenir qu'il m'avait autant remué. Moindre maturité sans doute.
La description de la terre, des cultures en train de mourir, le discours des agents de la banque et des propriétaires pour chasser les métayers. Comme celle des vendeurs de voitures d'occasion, des propriétaires de Californie, tout est vraiment très fort. L'évocation de toutes les difficultés auxquelles
les Okies doivent faire face, et qui n'en sont pas vraiment à leurs yeux puisque de toute façon ils ne peuvent faire autre chose qu'aller droit devant, est si réaliste, qu'on ressent la fatigue, la poussière, la volonté tendue jusqu'à la dureté.
Le drame des fermiers chassés de leurs fermes par le Dust Bowl et le rachat de leurs terres par les banques est vu à la fois à travers la famille Joad et quelques personnages qui partagent leurs destins quelques jours ou quelques semaines, mais aussi par la masse de tous les migrants, dans des chapitres où sans personnaliser les dialogues, Steinbeck fait revivre les scènes que tous ont connu face aux commerçants, aux propriétaires.
Tous ces pauvres savent ne pouvoir compter que sur eux-mêmes : « le seul genre de gouvernement qu'on ait qui s'appuie sur nous, c'est la marge de bénéfices. »
Le personnage de Man, cette femme forte, autour de laquelle la famille gravite comme les planètes autour de leur soleil, même si ce sont les hommes qui dirigent, au moins en principe, est particulièrement remarquable. Elle est avec l'un de ses fils, Tom, la charpente de la famille, les deux seuls à s'effacer toujours devant les besoins du groupe.
J'ai été à de nombreuses reprises frappée par la modernité du propos ou son intemporanéïté. C'était en Amérique du Nord dans la décennie 1930, mais cela aurait pu se passer n'importe où, n'importe quand. Quelques transpositions et le propos reste juste et d'actualité.
Une notion qui revient souvent c'est le changement que constituent pour les hommes de ne plus travailler eux-mêmes la terre, de ne plus la toucher que ce soit dans les grandes plaines où les tracteurs retournent la terre ou en Californie où les fermiers sont devenus des commerçants, qui ne la travaillent pas eux-mêmes et parfois ne la connaissent pas. Je ne connais pas le reste de l'oeuvre de Steinbeck et je ne sais pas comment cela s'articule avec d'autres opinions, mais j'ai fort envie de le savoir.

Voilà un avis que je donne très rarement, c'est peut-être même la première fois, mais si vous ne l'avez jamais lu, courez chez votre libraire ou à défaut à la bibli la plus proche. Pour ma part, je suis allée me procurer un autre Steinbeck, et ce ne sera pas le dernier.
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En cette fin des années trente où les terribles effets de la Grande Dépression tardent à s'estomper, le sort du petit fermier de l'Oklahoma n'est guère enviable.

Plus encore que les périodes de sécheresse qui n'en finissent pas d'épuiser une terre déjà appauvrie par le manque de rotation des cultures, l'apparition des premiers tracteurs à chenille va porter le coup de grâce aux petits propriétaires terriens. Les récoltes insuffisantes ne leur permettent pas d'investir dans les nouvelles technologies et voilà bon nombre d'entre eux, déjà lourdement endettés, contraints de céder au grand capital leur lopin de terre poussiéreux.
Ils s'en vont, par familles entières, rejoindre les cohortes d'anciens métayers et de journaliers attirées par la riche Californie à l'arboriculture fruitière gourmande en main-d'oeuvre.

Les Joad, douze miséreux sur trois générations entassés dans un vieux camion brinquebalant, ont dû se résoudre eux aussi à tout quitter du jour au lendemain.
La fameuse route 66 de la migration vers l'ouest doit les conduire sur plusieurs milliers de milles jusqu'à la terre californienne bénie des Dieux. L'espoir de bientôt travailler, de pouvoir enfin manger à leur faim, de recouvrer un semblant de dignité, les fait avancer coûte que coûte vers cet Eldorado de la dernière chance.
Leur courage inébranlable suffira-t-il à triompher de la poisse qui trop souvent colle aux basques des plus démunis ?

Les raisins de la colère”, paru en 1939, relate une des pages les plus douloureuses de l'histoire des États-Unis.
John Steinbeck ne s'est pas contenté de décrire de façon romanesque les dérives et les conséquences du productivisme à outrance. Il a pris soin d'intercaler tout au long de l'intrigue de courts chapitres explicatifs à seule fin d'orienter la réflexion du lecteur. Pas le moins du monde rébarbatifs, ils sont écrits avec inspiration même si de tant à autre on sent poindre l'exaspération de l'auteur face aux aberrations et aux injustices les plus criantes de son époque.

Les nombreux dialogues, traduits de l'américain avec une incroyable justesse, rendent la famille Joad attachante et donnent du rythme au roman.
Le personnage de Man, qui protège tant qu'elle peut ses six enfants, est bouleversant d'abnégation et de pragmatisme. Citadelle familiale et refuge inexpugnable pour les siens, Man du tréfonds de son être sent gonfler et mûrir peu à peu “Les raisins de la colère”...

La prose de cette fresque historico-romanesque est absolument délicieuse, elle a la saveur particulière des oeuvres qui à l'évidence passent à la postérité.
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critiques presse (1)
Bibliobs
03 octobre 2023
Les « Raisins de la colère » décrit avec méticulosité une catastrophe écologique déclenchée par l?avidité des banques et un modèle agricole insoutenable.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (683) Voir plus Ajouter une citation
– S'il a besoin d'un million d'arpents pour se sentir riche, à mon idée, c'est qu'il doit se sentir bougrement pauvre en dedans de lui, et s'il est si pauvre en dedans, c'est pas avec un million d'arpents qu'il se sentira plus riche, et c'est p'têt' pour ça qu'il est déçu, c'est parce qu'il a beau faire, il n'arrive pas à se sentir plus riche...
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Mais ils ne riaient pas, ils ne dansaient pas. Ils ne chantaient pas, ils ne jouaient pas de la guitare. Ils retournaient dans leurs fermes, les mains dans les poches, tête basse, les souliers soulevant la poussière rouge.
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Quand une bande de types vous prennent et vous coffrent pour quatre ans, ça devrait avoir un sens. Un homme, c’est censé penser. Eux ils me prennent, ils m’enferment et me nourrissent pendant quatre ans. Admettons… mais alors ou bien ça aurait dû me changer de façon que je ne le refasse plus, ou bien c’aurait dû me punir de façon que j’aie peur de le refaire.
Mais je le referais.
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C’est à prendre ou à laisser. Mon métier c’est de vendre des pneus, c’est pas d’en faire cadeau. C’est pas de ma faute, ce qui vous arrive. Faut que je pense à ce qui m’arrive à moi.
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Alors des hommes armés de lances d'arrosage aspergent de pétrole les tas d'oranges, et ces hommes sont furieux d'avoir à commettre ce crime et leur colère se tourne contre les gens qui sont venus pour ramasser les oranges. Un million d'affamés ont besoin de fruits, et on arrose de pétrole les montagnes dorées.
Et l'odeur de pourriture envahit la contrée.
On brûle du café dans les chaudières. On brûle le maïs pour se chauffer - le maïs fait du bon feu. On jette les pommes de terre à la rivière et on poste des gardes sur les rives pour interdire aux malheureux de les repêcher. On saigne les cochons et on les enterre, et la pourriture s'infiltre dans le sol.
Il y a là un crime si monstrueux qu'il dépasse l'entendement.
Il y a là une souffrance telle qu'elle ne saurait être symbolisée par des larmes. Il y a là une faillite si retentissante qu'elle annihile toutes les réussites antérieures. Un sol fertile, des files interminables d'arbres aux troncs robustes, et des fruits mûrs. Et les enfants atteints de pellagre doivent mourir parce que chaque orange doit rapporter un bénéfice. Et les coroners inscrivent sur les constats de décès: mort due à la sous-nutrition - et tout cela parce que la nourriture pourrit, parce qu'il faut la pousser à pourrir.
Les gens s'en viennent armés d'épuisettes pour pêcher les pommes de terre dans la rivière, et les gardes les repoussent; ils s'amènent dans de vieilles guimbardes pour tâcher de ramasser quelques oranges, mais on les a arrosées de pétrole. Alors ils restent plantés là et regardent flotter les pommes de terre au fil du courant; ils écoutent les hurlements des porcs qu'on saigne dans un fossé et qu'on recouvre de chaux vive, regardent les montagnes d'oranges peu à peu se transformer en bouillie fétide; et la consternation se lit dans les regards, et la colère commence à luire dans les yeux de ceux qui ont faim. Dans l'âme des gens, les raisins de la colère se gonflent et mûrissent, annonçant les vendanges prochaines.
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A l'heure où beaucoup redoutent une crise économique après la crise sanitaire, voici un grand roman dans lequel chacun puisera des conseils utiles. Il raconte la vie quotidienne des travailleurs pendant la Grande Dépression aux Etats-Unis et n'a hélas rien perdu de son actualité.
« Les raisins de la colère » de John Steinbeck, à lire en poche chez Folio.
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