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Critique de Charybde2


Géo-ingénierie et initiatives de super-riches (et de leurs alliés de circonstance), aspects systémiques du réchauffement climatique et états-nations ne s'en laissant pas nécessairement conter (et compter) : un redoutable thriller technologique et climatique aux ramifications inattendues et à la réjouissante tonalité sarcastique – sans rien céder sur le plan du réalisme et de la documentation.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/05/04/note-de-lecture-choc-terminal-neal-stephenson/

Pas de note de lecture proprement dite pour ce gros roman de 2021, traduit en français en deux tomes en mars 2023 par Benoît Domis chez Albin Michel Imaginaire, puisque j'ai commis un petit article à son propos pour le Monde des Livres du jeudi 27 avril (daté vendredi 28 avril, à lire ici). Comme il est de coutume désormais en pareil cas, la présente note se contentera donc de quelques extraits et remarques supplémentaires, comme des notes de bas de page.

Au-delà de son humour baroque et ravageur, de sa densité factuelle et de sa mobilisation malicieuse de registres si variés, « Choc terminal » constitue en soi une formidable leçon ironique de pensée systémique, quitte à en souligner justement les difficultés et les incertitudes. Davantage encore que la seule théorie du chaos et ses désormais si célèbres battements d'ailes de papillon, et comme l'illustre son titre d'abord mystérieux (dont l'explication complète – ou presque – ne viendra qu'à la page 426 du premier volume : « – le choc terminal ? Qu'est-ce que c'est ? – Un épouvantail – une préoccupation légitime pour être honnête – qu'on finit toujours par agiter quand les gens discutent de géo-ingénierie solaire, expliqua Alastair. Ca revient à s'interroger sur les conséquences en cas d'arrêt du système après une certaine durée de fonctionnement. »), c'est sans doute dans l'intrication des causes et des effets, liés par des effets de seuil et d'hystérésis particulièrement difficiles à appréhender et plus encore à modéliser (on se souvient qu'il s'agit de l'un des ressorts dramatiques principaux du « Jour d'après » de Roland Emmerich, toujours à propos de climat, par exemple) que la richesse conceptuelle dont est capable Neal Stephenson, parfois comme en se jouant, se déploie pleinement. C'est bien sur ce point central que notre attention est encore attirée par l'un des principaux protagonistes lorsqu'il oppose à sa manière une pensée stochastique à une pensée narrative (divergence que l'on retrouve aussi comme noeud gordien, dans un domaine parallèle, du beau « La vengeance des perroquets » de Pia Petersen).

« Choc terminal » est aussi une occasion particulièrement fructueuse de brosser une géopolitique spéculative, dans laquelle, à côté d'éléments bien connus aujourd'hui (tels que les différents souverains, régnants ou non, de la péninsule arabique), on voit se dresser les uns aux côtés des autres divers types de milliardaires et d'états-nations (au premier rang desquels figurent ici l'Inde et la Chine, avec un regard dans ce dernier cas où une forme d'admiration est à peine voilée dans la narration), et divers « agents » telles que des grandes villes, des royautés sans pouvoir affiché ou des familles aristocratiques au patrimoine certes sérieux mais surtout aux réseaux séculaires. On se souviendra sans doute alors de l'étrange fascination qu'une partie de la communauté littéraire cyberpunk (ou post-cyberpunk dans le cas de Neal Stephenson) entretient avec la notion même d'état-nation, comme étrange survivance tout à fait digne d'intérêt face à des multinationales dominatrices et à des états devenus, ailleurs, impuissants de facto (que l'on songe au « câblé » de Walter Jon Williams, ou nettement plus récemment au « The Caryatids » de Bruce Sterling, par exemple). Mais il y a aussi ici une belle occasion de revenir sur ces logiques affinitaires de pouvoir et d'action collective (dans un contexte pourtant individualiste à l'extrême), logiques dont le point d'orgue actuel, à la visée étourdissante, est sans doute l'ensemble « Terra Ignota » d'Ada Palmer, et terrain que Neal Stephenson lui-même avait balisé dès son « L'âge de diamant » de 1995, bien avant la poussée incisive de Robert Charles WilsonLes Affinités », 2015) ou la poésie subtilement sarcastique de Pierre AlferiHors sol », 2018).

Enfin, comme le note fort justement Gromovar dans sa chronique (à lire ici), il est particulièrement intéressant de rapprocher et comparer les manières dont Neal Stephenson et Kim Stanley Robinson procèdent lorsqu'il s'agit d'envisager en science-fiction et en spéculation politique la question du réchauffement climatique, et des rôles respectifs de la science et du politique, de l'individu et du collectif, face au phénomène et à ses conséquences actuelles et futures. Et en effet, si le climat et ses évolutions meurtrières hantent l'auteur de la « Trilogie martienne » depuis fort longtemps, il faut bien constater que ses angles, évolutifs mais au centre de gravité constant, que ce soit dans « SOS Antarctica », dans la « Trilogie climatique » (où la géo-ingénierie devient justement rapidement centrale, et ce dès 2006, dans le rapport entre science et politique) ou, plus récemment, dans « New York 2140 » et dans « The Ministry for the Future » (normalement à paraître en français à l'automne prochain), ont toujours à voir d'abord avec le collectif, voire avec le collectif composé de strates multiples et auto-organisées, quelles que soient leurs origines officielles ou techniques, et donc très loin de l'approche retenue, fût-elle subtilement sarcastique – et en tout état de cause diablement haute en couleurs, par l'auteur de l'immense « Anatèm ». Un beau travail de littérature comparée en perspective pour les années qui viennent !

Lien : https://charybde2.wordpress...
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