Chaque mot du titre est important ici. D'abord, commençons par le commencement, le « voyage ».
Comme souvent dans un récit de voyage ou dans un conte initiatique, ce n'est pas la destination qui compte, mais c'est le chemin parcouru pour l'atteindre qui importe.
Stevenson n'est pas dans la performance physique comme pourrait l'être un voyageur pressé d'aujourd'hui, ses étapes sont de taille variable, il s'arrête quand il le souhaite, ou quand les circonstances l'y obligent. Ce n'est pas non plus un topo de randonnée au sens actuel, dans la mesure où il donne peu d'indications précises : il monte, il descend des pentes raides, sans vraiment d'indication de kilomètres ou de dénivelés. Il ne donne pas forcément non plus les toponymes des lieux traversés, quelques villages, mais rarement les torrents ou les cols.
« L'âne » du titre, c'est Modestine, d'abord véritable compagne de voyage dont le Narrateur analyse les sentiments, à progressivement simple utilité puisque sa présence devient de plus en plus réduite dans le texte, à peine mentionne-t-il qu'il la nourrit. Cependant, certains passages peuvent sembler dérangeants, dans la mesure où il la fait coopérer en la battant au sang...
« Les Cévennes » enfin, pour moi le coeur du texte. Ce sont le lieu du voyage, ces montagnes raides et ses vallées encaissées, au milieu aride, peu peuplées, rurales.
Stevenson décrit avec poésie et beauté ce paysage austère en faisant appel à plusieurs sens. Il n'est cependant pas désert, puisqu'il est peuplé. Il est peuplé de sons, le sons des oiseaux, des rongeurs, celui du vent dans les feuilles. le paysage sonore est aussi composé du son des cloches des troupeaux – ou celle du monastère, des chants des bergers ou des passants, parfois simples présences lointaines. Les Cévennes sont vivantes aussi par les odeurs qu'évoque
Stevenson, celle de l'eau fraîche qui désaltère, celle de la garrigue au soleil, celle de la châtaigneraie au début de l'automne... Car ce paysage désertique n'est cependant pas désert, il est peuplé et transformé par l'homme depuis des générations. Les hommes ont aménagé les cultures en terrasse, appris à développer la sylviculture et les pâturages, creusé des sentes sous les sabots des troupeaux... Mais ce monde qui pourrait sembler immobile et immuable, comme les dortoirs des auberges qui paraissent figer dans le passé, ne l'est qu'en apparence : la modernisation arrive peu à peu, avec ses débats politiques entre républicains et monarchistes, ses ouvriers des ponts et chaussées qui tracent des routes rectilignes...
Mais un aspect central du texte n'est pas évoqué par le titre : la religion, ou du moins la spiritualité.
Stevenson rencontre les moines trappistes vivant en ermite dans le désert, débat de théologie avec des hommes faisant une retraite spirituelle, discute de la présence de Dieu avec un vieil homme rencontré sur le chemin. Et, surtout, les Cévennes sont une terre liée à la religion, aux religions et aux guerres de religion, ayant abrité la guerre des Camisards, ces protestants attaqués par les armées royales de Louis XIV après sa révocation de l'Édit de Nantes.
Stevenson cherche donc dans le paysage et dans les âmes de ceux qu'il rencontre les traces du passé, traces physiques des massacres comme traces psychologiques dans les mémoires de ceux d'aujourd'hui – un siècle et demi après. Il n'insiste pas trop sur ses propres croyances, se mentionnant à dire qu'il est un protestant écossais tolérant, voyant Dieu partout. Mais son voyage est en lui-même spirituel, lui qui contemple les beautés de la nature en marchant, qui vit en ascèse ne se nourrissant parfois que d'eau-de-vie et de chocolat – il ne va pas jusqu'à prendre seulement de l'eau et du pain, voire n'ayant qu'un âne pour seul compagnon, réduit donc malgré lui au silence, loin des femmes aussi qu'il admire de façon lointaine.
Oui, la nature devenant un temple pour célébrer une divinité, toute l'oeuvre est emplie de spiritualité.