Ivanov traîne son ennui dans une société russe en pleine déréliction, ruinée, désoeuvrée, en proie aux profiteurs et agioteurs de tout poil.
Sa paresse désenchantée couvre un désespoir profond: à 35 ans, il se sent un vieillard.
La femme qu'il a aimée se meurt de tuberculose et il assiste impuissant à ce naufrage sans même sentir une souffrance : elle a tout quitté pour lui, ses parents et sa religion - elle est juive dans cette société russe viscéralement antisémite que le deyfusard
Tchékhov connaît bien- l'aime-t-il seulement encore ?
Autour de lui s'agite un monde de pique-assiettes cyniques, de lâches ivrognes, de cupides ambitieux et de nouveaux riches vulgaires.
Ivanov jette sur ces turpitudes un regard lucide et amer, mais il ne juge pas: il se sent tellement coupable lui-même.Une sorte d'Hamlet russe qui se gausserait de lui-même.
Egoïste, nombrilique, geignard et sans empathie il se fait horreur et nous fait horreur, et pourtant, lentement, son épuisement et son spleen nous deviennent étrangement familiers. Compréhensibles, proches. Si modernes....
Deux êtres- deux femmes- échappent à ce jeu de massacre: Sarah, sa jeune femme, mourante mais aimante et qui presque jusqu' au bout, le défend et le soutient et Sachenka, une toute jeune fille fervente, amoureuse, qui croit à l'amour qui sauve, à l'amour qui engage. L'une ne vivra bientôt plus, l'autre n'a pas vraiment commencé. Elles ne sont pas encore ou déjà plus entachées du péché d'exister.
Il y a aussi un jeune médecin, un humaniste, un sincère, qui entend dire à
Ivanov toutes ses vérités. Mais, on le sait, l'enfer est pavé de bonnes intentions, et cet humaniste est sans doute le pire de tous,c'est en tous les cas celui qui est le moins à même de comprendre
Ivanov et de le sauver.
Cette première pièce grave de
Tchékhov, alors jeune médecin de 27ans, est dense, longue mais jamais ennuyeuse grâce à l'acuité et à la férocité drôle des répliques, des situations et des caractères. On rit beaucoup...même et surtout quand on a le coeur en charpie...
Une vraie découverte...Mise en valeur par la mise en scène subtile et si juste de
Luc Bondy à l'Odéon, c'est une "lecture" fabuleuse de ce beau texte!
A aller voir et à relire après, pour savourer...