Une fois, je me rappelle, j'étais debout devant elle, comme devant toi maintenant... Elle était plus belle que jamais, et son regard... ah! Je ne l'oublierai jamais, même dans ma tombe!... La caresse, le velouté, la profondeur de ce regard, l'éclat de la jeunesse. Enivré, fou de bonheur, je tombe à ses genoux, je demande sa main...
(D'une voix éteinte: ) Et tu sais ce qu'elle me répond? Hein? «Quittez la scène! » Tu comprends? «Quittez-la-scène ». Elle pouvait être amoureuse d'un acteur, mais l'épouser, jamais!
Oh! mon Dieu! J'ai les reins cassés, la caboche qui éclate, des frissons dans tout le corps, et dans mon âme, il fait noir, il fait froid, on se croirait dans une cave. Espèce de vieux pitre, si tu te fiches de ta santé, prends au moins pitié de ta vieillesse.
SVETLOVIDOV : Le public est parti, le public dort et a oublié son bouffon. Non, personne n'a besoin de moi, personne ne m'aime... Je n'ai ni femme ni enfants...
NIKITA IVANITCH : Ça, c'est pas des choses à regretter...
Avant d'échouer dans ce trou, j'étais militaire, officier d'artillerie. Et si tu m'avais vu, quel gaillard! Beau, honnête, courageux, ardent. Mon Dieu, où tout cela est-il passé? Et après, Nikitouchka, n'ai-je pas été un acteur magnifique? (Il se lève, en s'appuyant sur le bras du souffleur.) Où est-il, ce temps-là? Mon Dieu! Tout à l'heure, j'ai jeté un coup d'œil dans cette fosse, et tout m'est revenu, tout. C'est cette fosse qui a englouti quarante-cinq années de ma vie, et quelle vie! En la regardant, je revois chaque détail, comme je vois le moindre trait de ton visage. L'enthousiasme de ma jeunesse, la foi, l'ardeur, l'amour! Les femmes, Nikitouchka!
Et tout en jouant, j’ai senti mes yeux s’ouvrir… Oui, j’ai compris que l’art sacré n’existait pas, que tout n’était que leurre et mensonge, et que je n’étais qu’un esclave...