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Critique de Nastasia-B


Platonov est la première pièce de Tchekhov, écrite alors qu'il n'avait vraisemblablement que dix-huit ans, vingt ans peut-être. On n'en sait rien exactement car la pièce n'a jamais été ni publiée ni jouée du vivant de l'auteur.

Seul demeure un gros manuscrit, environ deux fois plus gros que la taille d'une pièce " ordinaire ". Lequel manuscrit est abondamment biffé, avec des scènes pour lesquelles il existe deux voire trois variantes.

La vérité aussi, c'est que la pièce n'a pas de titre. Voilà pourquoi on trouve parfois la version courte : Platonov, du nom du personnage principal. Mais on l'a également vu traduire sous l'appellation : Ce Fou de Platonov. La seule indication de titre qu'y avait apposé Anton Tchekhov était un néologisme qui signifiait en gros : L'Absence de Père. Voici donc un premier mystère.

Le second mystère, à la lecture, est de s'interroger sur le fait qu'une telle pièce puisse être l'oeuvre d'un lycéen de dix-huit ans. On y trouve déjà presque toutes les thématiques qui seront abordées dans les pièces matures du dramaturge russe, notamment, une certaine ressemblance avec sa toute dernière pièce, La Cerisaie.

Dit autrement, soit il s'agit d'un génie vraiment très très précoce, soit (ou parallèlement), les visions de Tchékhov n'ont pas évolué d'un pouce entre 18 et 44 ans, ce dont je doute absolument pour un homme de cette envergure.

Pour vous avouer le fond de ma conviction et pour laquelle je n'ai absolument aucune preuve, cette pièce doit avoir effectivement été imaginée dans la prime jeunesse de l'auteur, puis remaniée plus tard à plusieurs reprises sans toutefois qu'elle satisfasse jamais pleinement soit l'aspiration du moment de son auteur, soit le désir de ne pas trahir son projet initial.

Si bien qu'en fin de compte, Tchekhov devait trouver meilleur de réécrire une pièce pure plutôt que de bricoler cette trame où l'on veut tout dire et où cela part dans beaucoup de directions pas forcément très lisibles.

Le personnage de Platonov m'évoque un peu celui d'Ivanov, notamment dans ses rapports aux femmes et un peu l'Oncle Vania quant à son caractère volcanique. le trio constitué par la veuve du général, Anna Pétrovna, son beau-fils Sergueï et Sofia Iégorovna, l'épouse de ce dernier me rappelle tout à fait la trame de la Mouette.

La situation même de la famille Voïnitsev, d'ancienne noblesse russe, rattrapée par son époque, incapable de gérer ses finances ni ses dépenses et qui se fait souffler son domaine par un " ami " de la famille, est le pivot de la Cerisaie. Rappelons au passage, qu'il y a beaucoup d'éléments autobiographiques pour Tchekhov, dans ce traumatisme de la vente du domaine familial à un spéculateur bourgeois proche de la famille.

Incroyable, n'est-ce pas ? je vous ai presque cité toutes les pièces de Tchekhov comme étant déjà contenues en germe dans cette ébauche, ventripotente ébauche, aux nombreuses facettes.

Même la structure en est un peu bancale, pas trop finie : deux énormes premiers actes, très typiques du théâtre d'Anton Tchekhov, réunion de famille et d'amis dans une maison de campagne où chacun s'envoie en pleine face ce qu'il pense de vous ou de l'autre, plombant ainsi durablement l'ambiance.

Les deux autres actes sont beaucoup plus brefs, un peu déconnectés, où il s'est produit des mutations profondes chez les personnages dont on n'a pas trop eu le temps de percevoir l'ampleur ni la genèse.

Voici l'histoire : nous sommes chez les Voïnitsev, domaine d'un général décédé, qui échoit désormais à sa seconde épouse, la jeune et encore très belle Anna Pétrovna, dont beaucoup de sont pas insensibles aux charmes tant physiques qu'intellectuels.

La belle dame raffinée et instruite, en ce milieu campagnard et bas de plafond, s'ennuyant ferme dans la vie, est une situation inchangée par rapport à la quasi totalité des autres pièces de l'auteur. Son beau-fils Sergueï est plutôt un brave type, mais totalement incapable de fournir le moindre travail digne d'intérêt pour la communauté. C'est l'archétype de l'homme inutile à la société, pas idiot mais sans aucun talent particulier.

Sa femme, Sofia, est elle-aussi une très belle femme, et elle aussi aurait souhaité autre chose dans sa vie. Elle nous évoque inévitablement les Trois Soeurs, regroupées sous une seule tête.

Autour de cette famille gravite une foule de pique-assiettes, voisins tous plus ou moins intéressés, soit par les charmes de la générale, soit par le domaine, soit les deux. le seul personnage qui tranche avec le voisinage est Platonov, l'instituteur.

Platonov est cultivé, instruit, il a même suivi les cours de l'université ce qui n'était pas si fréquent au fin fond de cette campagne russe à la fin du XIXème siècle. de plus, il est charmant, il philosophe, il a une grande âme...

Il a une grande âme, mais sa langue est fourchue ! Il lâche de ses saloperies à tout le monde, sans se soucier le moins du monde de l'effet produit. Malgré cela, les dames sont toutes plus ou moins folles de lui, mais lui n'a d'yeux que pour sa petite épouse, la modeste Sacha, qui nous annonce sans erreur possible Sarah, la petite juive d'Ivanov.

Platonov alterne les marques excessives d'amour vis-à-vis d'elle et les remarques où il ne cesse de la traiter de dinde. Mais il est fidèle et ne se soûle pas, ce n'est déjà pas si mal pour Sacha, non ?

Et s'il n'était pas si fidèle, ce glauquissime Platonov ? Quel cataclysme cela créerait-il dans l'équilibre bien huilé que je viens de vous décrire ? Qu'en résulterait-il ? Quel virage sociétal est contenu dans les quatre actes de cette pièce ? C'est ce que je ne me permettrai pas de vous dévoiler.

En somme, selon moi une pièce pas inintéressante du tout, mais il est vrai assez brouillonne. Je signale simplement l'excellente traduction intégrale (ce qui est rarement le cas) de Françoise Morvan et André Markowicz parue chez un modeste éditeur qui gagne à être connu : Les Solitaires Intempestifs.

Et j'en terminerai en vous rappelant, que vous trouviez cette critique de Platonov plate ou neuve, qu'elle ne représente qu'un avis, un seul petit avis, qui, tant qu'il demeure seul, ne représente à lui seul pas grand-chose. Alors, tous à Platonov !
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