Sylvain Tesson se définit comme un ermite, je le vois davantage comme un voyageur-né, un aventurier écrivain, un poète baroudeur, un rêveur philosophe qui aspire à un monde plus simple et plus respectueux de son environnement.
Après plus de cinq cents chroniques sur ce récit de voyage, il est difficile d'être original. Je vais tout de même tenter de coucher mon ressenti, mes émotions de lectrice.
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Faire un pas de côté.
S'évader, changer de vie.
Choisir la solitude à la compagnie,
l'immensité à la promiscuité,
l'importance de l'instant à la futilité.
Poser un regard différent sur le monde, sur soi.
Faire la paix avec le temps, avec soi.
Vivre un interlude de six mois,
loin des hommes, loin du bruit,
au rythme de la nature,
pour étancher sa soif de liberté,
pour mieux se retrouver.
« Il suffisait de demander à l'immobilité
ce que le voyage ne m'apportait plus : la paix. »
Pour cela,
Sylvain Tesson a choisi de quitter le monde des hommes, de s'isoler loin de tout, dans une petite cabane en bois perdue dans l'immensité de la taïga sibérienne, au bord du lac Baïkal.
De février à juillet 2010, l'auteur a tenu un journal de bord dans lequel il relate cette vie d'aventures, d'expériences insolites et extrêmes, de rencontres. Il y partage aussi son goût pour la littérature.
« Quand on se méfie de la pauvreté de sa vie intérieure, il faut emporter de bons livres… »
De cette vie solitaire, naissent de nombreuses réflexions sur la vie, la liberté, la nature humaine, la mondialisation, la modernisation de notre société.
« L'homme est un enfant capricieux qui croit que la Terre est sa chambre, les bêtes ses jouets, les arbres ses hochets. »
Il en découle de beaux passages :
« Pour parvenir au sentiment de liberté intérieure, il faut de l'espace à profusion et de la solitude. Il faut ajouter la maîtrise du temps, le silence total, l'âpreté de la vie et le côtoiement de la splendeur géographique. L'équation de ces conquêtes mène en cabane. »
« Les lynx, les loups, les renards et les visons circulent dans la nuit. La tragédie sauvage se lit dans les empreintes. Certaines sont perlées de sang. Elles sont les paroles de la forêt. »
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Même si j'ai parfois ressenti le poids de la solitude, des regrets ou du chagrin, je retiens avant tout le calme, le bonheur de vivre simplement, en harmonie avec la nature, avec ses idées.
C'est une lecture que j'ai trouvé très apaisante. J'y ai puisé de la force, retrouvé la sérénité dans la magie des lieux et la plume poétique de
Sylvain Tesson. Mon esprit s'est mis au diapason de cet espace lacustre cristallisé par la glace. Il a cheminé dans ce monde tout de
blanc vêtu, figé dans l'instantané et le froid. Il s'est reposé, délassé, lové dans ce silence cotonneux et douillet baigné de lumière.
L'endroit que l'auteur a choisi pour sa retraite offre une magnifique scène de spectacle à ciel ouvert.
La nature y est reine, une artiste qui se réinvente sans cesse, qui dévoile sa beauté froide et éthérée. La forêt de cèdres et ses habitants, le lac de glace, le gémissement du vent, les saisons se mélangent dans une sorte de kaléidoscope, défilé de couleurs, de
blanc, de lumières, de parfums, de sensations et d'émotions.
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C'est aussi un récit qui se joue des extrêmes et des contrastes.
Aux empressements, aux agressions et aux bruits de la vie moderne, se substituent l'immobilité de la vie, le calme, le silence, la beauté et la contemplation. L'hostilité du monde ne vient pas de la nature, mais des hommes.
Le monde sauvage renferme autant de puissance que de fragilité. Sa froidure est apaisée par la chaleur du poêle, le renouveau du printemps. Sa beauté voile sa rigueur, sa rudesse.
« Les failles du lac, comme les crevasses des glaciers, donnent des baisers mortels aux hommes trop confiants. »
Le temps a une signification différente, il se tamise, s'attendrit, trouvant un tempo et un rythme plus lent pour s'accorder aux décors et au besoin de repos.
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Je retiendrai de cette aventure de magnifiques images d'une beauté simple et touchante : les flocons de neige, la coloration du ciel, la démarche placide et puissante des ours, la présence rassurante et réconfortante des chiens.
« Aïka et Bêk enlacés dessinent dans la nuit sibérienne le symbole du yin et du yang. »
Je garderai également en mémoire certains moments doux, amusants, ou cruels qui étreignent le coeur :
- la visite d'une petite mésange à tête noire qui frappe au carreau pour demander quelques graines.
« La visite du petit animal m'enchante. Elle illumine l'après-midi. En quelques jours, j'ai réussi à me contenter d'un spectacle pareil. Prodigieux comme on se déshabitue vite du barnum de la vie urbaine… Et voilà que je reste gâteux devant l'oiseau. La vie de cabane est peut-être une régression. Mais s'il y avait progrès dans cette régression ? »
- le spectacle bouleversant des papillons morts, flottant à la surface du lac.
« Certains trouvent encore la force de se débattre. Je transforme mon kayak en patrouilleur de sauvetage et recueille délicatement les insectes, un à un. Pauvres fleurs du ciel tombées au champ d'honneur. Bientôt, trente papillons décorent d'étoiles molles mon embarcation bleue. Je suis le pilote d'une arche pour hyménoptères. »
- la cane qui pleure ses petits dans la lumière du matin.
« La vie consiste à tenir le coup entre la mort des êtres chers.
Il a suffi des coups de dents machinaux d'une petite carnassière pour qu'une immense clarté de solitude s'abatte sur les Cèdres du Nord. »
- l'image du cheval mourant face au lac
« Les entrailles fument dans le froid, des geais se postent au sommet des pins, les tripes s'écoulent dans un froissement, parfaitement imbriquées, soyeuses. le soir tombe sur ces épanchements. »
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Pour conclure, ce récit de vie a coïncidé avec mon humeur du moment, mon envie d'une lecture qui calme la frénésie de ma vie.
Une jolie parenthèse.
« Je suis venu ici sans savoir si j'aurais la force de rester, je repars en sachant que je reviendrai. »