Citations sur Le téléphérique et autres nouvelles (51)
La nuit, tout est plus long. Pas de paysage pour se désennuyer. L’effort de la marche s’augmente de l’inexistence des repères. L’impossibilité de tronçonner la distance à abattre décourage les plus vaillants. A la lumière, le marcheur se fixe des objectifs, prend ses amers, se replie en lui-même en attendant d’atteindre son point de visée, puis en détermine un autre et renouvelle l’opération jusqu’à la halte. Mais dans le noir, on erre. La nuit, cette mangrove aspire la volonté. Alors, pour marcher, il faut une sacrée raison.
Une ou deux fois je l’ai accompagné, c’était un drôle de spectacle : il s’adressait aux choses, il saluait les oiseaux, il caressait les arbres, il demandait de leurs nouvelles aux fleurs, parfois il se penchait sur un petit champignon et il le félicitait de sa bonne couleur rose ou bien il voyait que le travail d’une fourmilière n’avait pas beaucoup avancé et il disait doucement : «Ce n’est pas bien, petites mères, l’hiver approche et vous n’êtes pas prêtes. » Pour tout dire, il était cinglé.
Imaginez l’hiver, seul, dans un cube de rondins. Dehors ; -40°C., le vent, le soleil qui rôde, malade, pendant cinq ou six heures, dans un ciel de clinique et les heures blanches, épouvantablement silencieuses qui passent, qui tombent, une à une, identiques, et lui, devant la fenêtre, à regarder le cadavre de l’hiver.
La ligne
- Ce n'est plus pareil ,mon vieux. Ils ont rétabli le jus, on entend la radio des voisins. Il y a la putain d'enseigne du magasin en face de chez nous. Les veilleuses des appareils électroniques clignotent. Et puis, elle, elle ne résiste pas, elle regarde la télé jusqu'à 11 heures. Pour elle, les bougies, c'est un secours. Moi, je lis au lit en attendant, après, on baise sous un néon clinique. J'ai retrouvé ma femmes, j'ai perdu une salamandre.
En regardant l'eau du fleuve caresser les flancs du navire, je me disais que la Russie est aux nations ce que le hanneton est à L'Evolution : une aberration.
Ce pays, au bord de l'écroulement, poursuit de siècle en siècle sa marche inaltérable. Il titube mais ne s'effondre pas.
Le barrage
Dans ce village, un jour, Lao-tseu arrosait son potager avec ses disciples. Il était muni d'un petit arrosoir et passait de plante en plante, avec lenteur et minutie. Un des garçons dit au vieux lettré : " Maître, pourquoi ne creusons-nous pas un petit canal pour irriguer tous les plants d'un seul jet ? " Lao-tseu releva le bec de son arrosoir, regarda son élève et lui dit en souriant : " Mon ami, jamais ! Qui sait où cela pourrait nous mener ? "
Seuls les pionniers de l'Aéropostale avaient réussi à surmonter la contradiction entre la furie des vols transatlantiques et l'aimable monotonie de la distribution du courrier.
le regard d'un singe dans une cage est l'une des plus grandes hontes de l'homme, et cela n'a jamais dissuadé aucun bourgeois de traîner son mioche au zoo.
L'intensité de la foi est inversement proportionnelle au degré d'affection reçue. Les enfants qui ont été trop choyés font de mauvais chrétiens. Les autres cherchent la chaleur dans la prière. Le Père est une mère pour les mal-aimés...
Parfois, je levais mon verre et essayais d'aligner le niveau du liquide avec l'horizon. Une façon de trinquer avec le monde lorsqu'on boit seul.