Dans un ouvrage précédent, Une très légère oscillation, Sylvain Tesson avait nommé Notre-Dame de Paris : Notre-Dame du bon secours. Il évoquait déjà ses folles escapades jusqu'au beffroi, jusqu'aux gargouilles, jusqu'à la flèche. C'était celle qui l'avait aidé plus tard en 2015 à se relever, lorsqu'il avait fait une chute terrible d'un toit, accident qui aurait pu lui être fatal, lui cabossé tel un Quasimodo bourlingueur, agité d'azur, assoiffé de vertige, ivre de toits et d'espace. C'est dans l'ascension de ses quatre cent-cinquante marches qu'il avait alors entrepris sa lente rééducation, Notre-Dame de Paris l'avait aidé à se reconstruire, à se redresser dans cette obsession de la verticalité, se donnant un rendez-vous rituel avec ses tours. C'est beau un homme qui se relève.
Par solidarité, la disgrâce des gargouilles semblait alors le consoler peu à peu.
Il a fallu qu'un certain 15 avril 2019, la belle dame brûle pour que des millions de gens soit tristes, sidérés, pour que Sylvain Tesson se rappelle à la gratitude du bel édifice et publie ce livre intitulé Notre-Dame de Paris Ô reine de douleur, composé de trois textes, dont un écrit le soir même du grand brasier.
Comme il le dit, avec toujours un brin de détachement et d'ironie, ce petit livre permettra peut-être d'« apporter sa pierre à la restauration de l'édifice ».
Sylvain Tesson dit son amour et sa douleur, comme évoquant presque une compagne meurtrie.
Chacun de nous se rappelle sans doute avec précision ce qu'il faisait, où il était ce soir-là, apprenant la nouvelle sidérante. Je n'étais pas très loin de Paris, à Bray-et-Lû, en vacances dans un vieux moulin restauré datant du dix-huitième siècle, sans le moindre poste de télévision, dans l'impossibilité de capter la moindre connexion internet dans cet endroit de campagne. Durant l'après-midi, nous avions admiré les très beaux jardins de Monet, à Giverny. Ce n'est que le lendemain que nous avons appris la nouvelle par la radio de la voiture. Les images sont venues après...
Le temps des cathédrales n'est pas le temps humain. Il n'est pas le temps présidentiel, ni le temps olympique. Encore moins le temps des réseaux sociaux, immédiat et futile. Cela, Sylvain Tesson nous le rappelle ici encore comme dans tant de ses livres, un peu comme une litanie et nous ramène, que l'on soit petit ou grand, à l'humilité.
Entre le ciel et la terre, se dresse ce roman de pierre et de bois, de huit cent cinquante-six ans d'âge. Tout comme Sylvain Tesson, je ne crois pas en Dieu, mais j'aime entrer dans les chapelles, les églises et les cathédrales. Tout juste agnostique, je suis épris d'un doute à la fois joyeux et terrible, croyant peut-être encore à des forces invisibles, mystérieuses. Et c'est follement grisant !
D'où me vient alors ce goût qui me pousse à franchir les portes de ces édifices religieux ? Le même sans doute qui me pousse à entrer dans une forêt, ou à regarder l'océan durant des heures. Rien d'autre que cela, loin du bruit dérisoire du monde.
Les cathédrales sont des îles perdues au milieu des jungles urbaines.
A l'instar du peuple de Paris, éphémère et grouillant que nous faisait découvrir Victor Hugo, - la fameuse Cour des Miracles au pied de ce royaume gothique -, ici Sylvain Tesson évoque sa passion de toujours qu'il a longtemps partagée avec des amis ou des inconnus, ces grimpeurs de la nuit, escaladeurs de toits, de corniches et de gargouilles, funambule des gouttières et des faîtages, princes des chats... J'ai découvert un mot que je ne connaissais pas : la stégophilie, l'amour des toitures.
C'est une ode liturgique au vertige, ce sont des instants magiques au bord de l'équilibre précaire, que nous livre ici l'auteur.
Tiens, comme c'est étrange, Sylvain Tesson m'apprend aussi qu'on nomme forêt la charpente de Notre-Dame de Paris.
Une cathédrale brûle, des forêts brûlent... Est-ce que cela produit le même chagrin ?
Sylvain Tesson nous dit l'humilité qu'il y a derrière la construction de cet ouvrage. Qui saurait dire un nom qui se dresse derrière cette œuvre d'art ? Ou même dix noms d'artisans... Bien sûr il y a la fameuse flèche dessinée par Viollet-le-Duc. Non, c'est une communauté grouillante de compagnons comme une fourmilière qui a œuvré ensemble, d'une seule et même voix harmonieuse, à la construction de l'édifice.
Dans le bruit dérisoire du monde, Sylvain Tesson nous rappelle que les cathédrales sont plus grandes que nous, elles nous permettent peut-être de faire ce pas de côté, que ce soit sur les parvis, sous les ogives, sur l'arête des coursives, en équilibre, que l'on soit croyants ou non-croyants.
Brusquement, au détour d'une page, le tourbillon d'un vol de pigeons autour du beffroi sud saisit notre regard. Ici un buisson pousse au pied de la flèche, la vie faite de lichen, de lierres, d'herbes folles et de mousse, s'incruste dans les interstices de la pierre, comme la préfiguration d'un règne végétal prêt à reconquérir le monde et la cité en premier.
C'est un sentiment éperdu de liberté.
Comme c'est beau sous la plume de Sylvain Tesson ! Nous sommes presque aux confins de la terre, au bord d'une autre terre, aux confins de nos rêves, à quelques battements d'ailes de ce que nous sommes peut-être réellement et que nous avons perdu quelque part en chemin...
J'aime les auteurs qui me rappellent cela, qu'ils soient anciens ou contemporains.
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Un homme atypique, écrivain et toitophile singulier rend un vibrant hommage à une très vieille dame saluée et connue dans le monde entier : la cathédrale Notre Dame de Paris. Sylvain Tesson l'a côtoyé de près, elle l'a même aidée à sa reconstruction personnelle après un accident qui lui a imposé de la rééducation...il continue de la fréquenter, admirateur inconditionnel, une relation presque charnelle s'instaure avec ce monument. Il compare son visage déformé aux gargouilles qu'il croisent là-haut au sommet de la flèche , là où l'on domine tout Paris...
Texte émouvant empreint de lucidité et d'un amour particulier qui le lie à cet édifice emblématique. La plume et la sensibilité de Sylvain Tesson sont toujours au rendez-vous. le témoignage sincère d'un homme passionnément attaché à son histoire.
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Une ode à Notre Dame qui fut un élément essentiel dans la vie de Tesson. D'abord il en a fait un objet d'escalade au temps de sa période "stégophile", découvrant en secret son incroyable forêt de chênes et ses abîmes de granit ; ensuite en l'utilisant comme outil de rééducation, marches après marches. Bel hommage d'un parisien envers une vieille dame, voisine de coeur et de corps.
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Tout d'abord, bravo à la maison d'édition Equateurs de reverser les bénéfices de ce livres à la Fondation du Patrimoine. Recueil de trois textes ("Sur les vaisseaux de pierre", "Notre-Dame du Bon Secours" et l'inédit "Ô reine de Douleur", ce petit livre écrit par le brillant Sylain Tesson est un bijou d'intelligence à lire sans modération.
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