Bilodo est un facteur tout ce qu'il y a de plus banal. Enfin, pas tout à fait. Il a tout de même un petit vice caché : il aime les lettres, les vraies, celles que des correspondants écrivent sur du papier. Quoi de plus normal pour un facteur, me direz-vous . Sauf que notre Bilodo les ouvre à la vapeur, les lit, les photocopie, les archive avant de remettre les orignaux à leurs destinataires.
C'est ainsi qu'il découvre l'existence d'une jolie Guadeloupéenne.
Le courrier postal, moi, j'adore. Nous nous écrivons tout le temps, ma soeur et moi. Aussi ma journée commence-t-elle bien si une missive m'attend dans ma boîte. Il est donc évident que je recherche les livres (« Le porteur de destins ») ou les bandes dessinées (« Facteur pour femmes ») qui mettent à l'honneur ce moyen de communication.
Qui donc m'avait conseillé «
Le facteur émotif » ? Je ne sais plus, mais je m'étais empressée de l'acheter et il patientait dans ma PAL. Mais là, j'ai rendez-vous. Je devrai peut-être attendre (brrr) ? Je n'ai plus rien à lire ? Quelle horreur ! Je tends la main vers le volume au sommet de mon Everest. Je le jette dans mon sac. Voilà. Je me plonge dans les premières pages. Eh bien, maintenant que je l'ai commencé, plus moyen d'arrêter.
Ce Bilodo, quel indiscret de glisser son nez dans des correspondances qui ne lui sont pas destinées ! Je serais bien fâchée si cela m'arrivait. Mais bon, tant pis. Puisqu'il a décacheté l'enveloppe, je me penche par-dessus son épaule. Et j'ai raison. Notre homme se laisse embarquer dans un échange très particulier. Gaston Grandpré et Ségolène vivent aux antipodes l'un de l'autre, lui au Canada, elle à Pointe-à-Pitre. Se sont-ils déjà rencontrés ? Non, sans doute pas. Mais ils s'écrivent des haïkus (NB pour ceux qui ne les connaissent pas, ce sont de courts poèmes japonais en trois vers et dix-sept syllabes). Justement, j'aime beaucoup ce genre de texte. Mais n'allez pas croire que ce livre soit un recueil de poésie. C'est bien un roman. Bilodo en est le centre. Et notre curieux a mis le doigt dans un dangereux engrenage. Il va vivre de nombreuses aventures. Et nous, lecteurs, en les parcourant, nous passerons du rire à l'attendrissement, de l'appréhension à l'angoisse, de la curiosité à l'effroi. Certains passages sont mystérieux, magiques, peut-être. D'autres, tragiques ou tout bonnement révoltants.
Le style est très imagé. Par exemple, une fabuleuse description de la Guadeloupe donne l'impression de contempler ce merveilleux paysage « avec ses champs de canne à sucre, ses jungles aux sentes escarpées plantées de fougères géantes et constellées d'orchidées, ses monts aux tempes vertes et aux fronts embrumés, aux joues moussues parcourues de chutes et de cascades. »
Les personnages ne sont pas banals. Robert me paraît détestable. Mieux vaudrait un ennemi qu'un ami comme lui. Son humour et d'un goût douteux. Il prétend absolument doter Bilodo (qu'il surnomme « Libido ») d'une maîtresse. Il l'inscrit contre son gré sur des sites de rencontres graveleux. Il se moque des ses calligraphies. Il l'espionne. Il fouille dans ses affaires. Je ne comprends pas comment on peut le supporter.
En revanche, j'aimais beaucoup Tania. J'aurais voulu que l'auteur lui offre un rôle plus important. Ce qui lui arrive (par la faute de l'affreux Robert) m'a serré le coeur.
Enfin,
Denis Thériault a choisi un type de construction qui me plaît et la fin m'a surprise.
C'est une lecture que j'ai appréciée et que je recommanderais volontiers.